L’activité autour des silos reste «suspecte»
La principale source d’inquiétude pour les proches des victimes reste l’incendie qui se déclare par intermittence autour des silos du port de Beyrouth depuis au moins jeudi matin. Un incendie que les autorités semblent aviver, selon des photos datant de lundi soir et transmises à «Ici Beyrouth» par Mariana Fodoulian, dont la sœur a été tuée dans la double explosion du 4 août 2020.

«Il n’y a pas de décision de détruire les silos de blé du port de Beyrouth.» Telle est la déclaration officielle obtenue par Ici Beyrouth auprès de plusieurs responsables et sources indépendantes, après la publication exclusive de photos prises à distance, depuis un bateau, de «trois machines, semblables à des tracteurs, s’activant autour des silos» samedi matin, selon l’auteur des photos.

Ce démenti officiel est toutefois loin d’exclure l’hypothèse de manœuvres officieuses visant à affaiblir la structure des silos et provoquer leur effondrement que continuent de craindre les proches des victimes et avocats qui suivent le dossier. Ceux qui, parmi les proches, se sont rendus sur place lundi, après la diffusion des photos, n’ont pas pu vérifier qu’une activité de démolition était en cours. Ils continuent de présumer du «mensonge» des responsables.

Plusieurs zones d’ombre et contradictions sont, en effet, à relever. Alors que des ouvriers du port ont rapporté à certains proches des victimes n’avoir vu aucune machine, un autre a décrit à l’un d’eux, contacté par Ici Beyrouth, «une activité observée en lien avec l’extraction d’un navire coulé par l’explosion».

En tout état de cause, dit ce proche des victimes, «plus personne ne travaille près des silos», zone interdite d’accès sauf autorisation exceptionnelle. Aucune information ne semble vérifiable au-delà de tout doute raisonnable.

D’autres événements observés dans le périmètre des silos au cours des derniers jours alimentent les doutes des familles quant à une tentative du pouvoir de provoquer leur effondrement sans devoir assumer une décision officielle de les démolir. «Il est certain que le pouvoir veut la destruction des silos», déclare William Noun à Ici Beyrouth. Pour rappel, la décision de démolition a été prise en Conseil des ministres, mais son exécution par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) est officieusement suspendue.

Zones d’ombre autour de l’incendie

La principale source d’inquiétude pour les proches des victimes reste l’incendie qui se déclare par intermittence autour des silos depuis au moins jeudi matin. Selon le récit officiel – tel que paru dans un communiqué du directeur général du port de Beyrouth, Omar Itani, publié seulement lundi en réaction aux photos sur les tracteurs –, cet incendie aurait été provoqué par la fermentation du blé dispersé autour des silos depuis la double explosion. Celle-ci a du reste affaibli le sol au point de rendre impossible de dépêcher des camions-pompiers sur place sans risquer un effondrement du terrain et la vie des pompiers eux-mêmes. Des hélicoptères militaires se seraient donc chargés d’éteindre le feu jeudi, toujours selon le récit officiel, ce qui n’a pas empêché l’incendie de reprendre lundi soir.

Mais des proches des victimes, contactés par Ici Beyrouth, sont sceptiques quant aux efforts présumés des autorités pour éteindre l’incendie. William Noun et Mariana Fodoulian, qui observent de près le terrain, jugent «très peu probable» même l’intervention déclarée des hélicoptères.

Mariana Fodoulian met également en doute la chronologie officielle du sinistre en faisant valoir que des premières fumées avaient été aperçues le 4 juillet, lors de la conférence de presse organisée par les familles des victimes devant le port de Beyrouth.

Activité nocturne suspecte


Du reste, que le feu ait ou non été causé par la fermentation du blé, les autorités semblent contribuer à l’attiser, renchérit-elle, en jugeant «curieux que le feu s’intensifie la nuit».

Dpuis plusieurs jours, des habitants se plaignent des odeurs d’un incendie persistant. Mariana Fodoulian a pu en effet observer, le soir du lundi 11 juillet, à 23h30, «une activité anormale à cette heure de la nuit, de camions et de voitures, tout près des silos», dont l'accès est en principe interdit. En marge de ces mouvements, l’incendie a paru reprendre de plus belle «au niveau de quatre différents foyers», explique-t-elle, photos à l’appui. Ici Beyrouth a obtenu une photo que Mariana Fodoulian a prise elle-même, le lundi soir, à 23h30, et une seconde qu’elle dit lui avoir été communiquée par un témoin une heure et demie plus tard, le mardi à 1h. Elle fait remarquer en outre que l’incendie paraît se concentrer sur la partie nord des silos. L’architecture de cette partie serait différente et plus vulnérable que celle de la partie sud. Par conséquent, elle présente davantage de risques de s’effondrer, selon un architecte proche du dossier, qui rappelle que les autorités n’interviennent pas pour la consolider.

Photo des silos du port de Beyrouth prise par Mariana Fodoulian, le lundi 11 juillet, à 23h30.

Photo prise par un témoin oculaire le mardi 12 juillet, à 1h.

«Il me semble que maintenir le feu est le moyen le moins coûteux pour eux de démolir les silos», se désole Mariana Fodoulian, dont la sœur Gaïa a été tuée dans l’explosion.

Les experts le confirment: un incendie qui dure plusieurs jours finit par «fragiliser le fer dans le béton», qui risque alors d’«éclater» à l’intérieur de la structure et causer son effondrement rapide, explique l’architecte. La coïncidence du timing de l’incendie avec la seconde commémoration du 4 août ne serait pas anodine, selon les proches des victimes.

«Le gouvernement, responsable de la persistance de l’incendie »

Dans un communiqué publié mardi, la Campagne de solidarité pour la protection des silos du port de Beyrouth (initiative regroupant notamment des familles des victimes et l’ordre des ingénieurs) a rappelé que «depuis près d’une semaine, est observée une fumée qui se dégage près des silos de blé dans le port de Beyrouth, se transformant parfois en flammes».

Mardi soir, le blé continue de brûler au pied des silos, sans aucune intervention des pompiers.

«Ce qui est étonnant, c’est que les autorités n’ont pris aucune initiative pour éteindre le feu ni enquêter sur ses causes», relève la Campagne. «Par crainte des conséquences de cette fumée sur la santé des habitants des quartiers avoisinants (…) et que le feu ne s'embrase et affaiblisse la structure du bâtiment, la Campagne de solidarité pour la protection des silos fait assumer la responsabilité de la persistance de l’incendie et des dégâts qui en résultent au gouvernement d’expédition des affaires courantes. (Elle) appelle les parties concernées à agir immédiatement pour éteindre le feu et en neutraliser les causes, et relance son appel (au cabinet) pour qu’il revienne sur la décision de détruire les silos, entame la démarche visant à en consolider les fondations et assume la responsabilité de toute altération du lieu du crime», conclut le groupe civil.
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