Au Liban, mettre la charrue avant les bœufs est manifestement devenu la ligne politique gouvernementale. Il n’y a pas de plan global de sauvetage du pays, par contre, une rafale de projets de lois, portant tous en eux les germes de leurs échecs, sont soumis au Parlement.

Petit retour en arrière. Juste avant les élections, le gouvernement, sachant qu’il allait bientôt expédier les affaires courantes, s’était précipité pour mettre le pied dans la porte et déposer ces projets devant les députés et leurs commissions. Notamment celle des finances.

Le problème, c’est que tout cela se fait dans un désordre complet. Et comme le disait Sartre : "Le désordre est le meilleur serviteur de l’ordre établi." Donc, on gesticule, on fait mine de prendre à cœur les problèmes des Libanais, mais derrière tout cela, il y a des considérations politiciennes.

Commençons par le projet de loi sur le secret bancaire. Personne ne sait pourquoi il était si urgent de tout bousculer sans réfléchir aux conséquences. Pourtant, la loi dite 44-2015 prévoit depuis longtemps la levée du secret bancaire dans toutes les affaires de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme… Si la nouvelle loi est adoptée, n’importe quel juge, ou même, n’importe quel individu, pourra saisir les autorités compétentes et demander la levée du secret bancaire sur les comptes de n’importe qui.

Malheureusement, ce qui pourrait fonctionner dans une démocratie bien installée et solide, peut, au Liban avoir des effets redoutables. Le risque est grand de voir des règlements de comptes sans fin dans une société qui deviendrait le paradis des délateurs.

D’autant plus que la nouvelle loi aurait une rétroactivité sur vingt ans. On imagine déjà l’encombrement des tribunaux qui, pour le moment, n’ont même pas d’encre et de papier.

Dans ces conditions, il est fort à parier que les flux financiers vers le Liban, y compris ceux de la diaspora, se tariraient rapidement.

L’avenir de ce projet se joue la semaine prochaine. Tout dépendra du président du Parlement qui convoquera ou non les députés en séance plénière pour l’examiner.

Autre dossier brûlant, l’accord avec le Fond monétaire international (FMI). On en sait un peu plus désormais. Le Premier ministre avait manifestement garanti à l’organisation un accord politique interne préalable. Cet accord ne s’est pas concrétisé, malgré la pression internationale. Il semble qu’un vent de panique ait saisi les dirigeants, qui craignent de faire l’objet de sanctions si le dossier n’avance pas. L’objectif, au départ, était de contourner un effondrement total du pays, qui aurait été source de dangers, notamment pour la Finul et Israël. Sauf que, depuis le début des discussions, l’environnement mondial a beaucoup changé. La guerre en Ukraine a détourné l’attention des Européens. Les Saoudiens ne veulent toujours pas entendre parler du Liban et les Américains foncent à Riyad pour garantir gaz et pétrole à leurs alliés.

Selon nos informations, le Liban ne figure même pas à l’ordre du jour du conseil d’administration du FMI prévu le 22 juillet prochain. Le FMI préférerait désormais attendre le mois de novembre en espérant que les sanglots longs des violons de l’automne verront débarquer un nouveau président.

Troisième sujet de controverses: le célèbre contrôle des capitaux devenu une arlésienne. Là aussi, il y a autant de lectures que de protagonistes.

Et surtout, il y a ce paragraphe qui stipule que, même dans le cas des comptes en "fresh dollars", l’argent pourrait être donné en livres libanaises, au taux du marché… Le diable se nichant dans les détails, on voit d’ici les conséquences de ce genre de mesures.

Dernier sujet épineux, et non des moindres, le budget 2022. Il faut revoir la copie et, désormais se mettre d’accord sur le taux de change à adopter. Le but est de savoir calculer les dépenses et les recettes.  Lors de la rédaction du budget, il était convenu que ce taux serait de 20.000 LL. Le souci, c’est qu’entretemps, le dollar est passé à presque 30.000 LL et que même la plateforme Sayrafa est à près de 25.000 LL. Il faut donc revoir les taux. Et tout recalculer.

Si on ajoute les fonctionnaires qui sont en grève pour obtenir des augmentations de salaire, on obtient une équation aux multiples inconnues. Si les fonctionnaires obtiennent satisfaction, avec des salaires qui seraient indexés sur le taux de 8000 LL, la masse monétaire mensuelle de ce poste budgétaire bondirait de 1000 à 4500 milliards de LL. De quoi faire flamber le dollar et l’inflation.

Tous ces dossiers promettent des semaines studieuses et décisives. La commission parlementaire des finances qui travaille beaucoup pour trouver des solutions viables et justes, mais qui subit des pressions internationales très fortes, continue pourtant de pousser des wagons dans la mine. Mais ne dit-on pas qu’une main seule ne peut pas applaudir?