Plusieurs semaines après avoir fait démissionner ses députés, Moqtada el Sadr est bien déterminé à rester au cœur de l’échiquier politique irakien. En témoigne l’occupation du Parlement par ses fidèles, qui ont effectué la prière du vendredi à l’intérieur même de la zone verte de Bagdad, ou encore les appels à des élections anticipées pour trancher le différend politique qui l’oppose avec le Cadre de coordination. Celui-ci, composé de partis pro-iraniens, semble divisé sur la posture à adopter face au leader chiite, entre confrontation directe et négociations : la première option semble la moins probable, le parrain iranien ne souhaitant pas que l’Irak plonge dans le chaos. 

La pression par la rue constitue l’une des tactiques principales du leader, qui jouit d’une grande popularité dans les régions chiites du pays. (AFP)

L’influent leader chiite Moqtada Sadr maintient la pression en Irak sur ses adversaires et va désormais jusqu’à réclamer des législatives anticipées, de quoi accentuer la crise politique qui paralyse le pays depuis des mois.

Coup de bluff ou sortie de crise négociée ? Quelle réaction attendre de ses adversaires ?

Des élections anticipées 

Dix mois après les législatives, l’Irak attend toujours de se doter d’un nouveau Premier ministre et d’un président de la République, sur fond de tractations interminables et de querelles politiciennes.

Le scrutin d’octobre 2021 a été remporté par le Courant Sadriste, qui devient le premier bloc du Parlement avec 73 députés sur 329. Avec ses alliés, il revendique le droit de nommer un Premier ministre et de former un gouvernement.

Mais pour choisir un chef de gouvernement, ses adversaires, les influentes factions chiites pro-Iran du Cadre de coordination, souhaitent maintenir la tradition du consensus parmi les partis de la " maison chiite ".

N’étant pas parvenu à rassembler la majorité escomptée, M. Sadr a appelé ses députés à la démission en juin, abandonnant à ses adversaires la tâche de former un gouvernement.

Samedi, des milliers de sadristes ont envahi le Parlement et l’occupent depuis pour protester contre le candidat présenté par ses adversaires au poste de Premier ministre.

" M. Sadr se voit comme un partenaire principal dans tout nouveau gouvernement. Autrement, il continuera à bloquer la formation du gouvernement ", estime Fanar Haddad, spécialiste de l’Irak à l’Université de Copenhague.

" En outre, il ne permettra pas au Parlement actuel de se réunir sans ses députés ", souligne-t-il.

M. Sadr réclame une dissolution du Parlement, qui ouvrirait la voie à des législatives anticipées. Elle doit être actée par un vote à la majorité absolue et peut être demandée par un tiers des députés, ou par le Premier ministre avec accord du président de la République.

Avec un nouveau scrutin, M. Sadr espère effectuer " son retour au sein du Parlement et avoir plus de sièges qu’auparavant ", analyse Ihsan al-Shammari, professeur des sciences politiques à l’Université de Bagdad.

L’Irak au bord du gouffre
Les partisans de Sadr occupent le Parlement depuis une semaine, et se sont installés à l’intérieur de la zone verte, où ils ont effectué la prière du vendredi.(AFP)

Depuis le début de la crise, le Cadre de coordination, qui englobe les anciens paramilitaires du Hachd al-Chaabi, est divisé sur la marche à suivre.

L’aile dure, représentée par l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, –ennemi historique de M. Sadr– et Qaïs al-Khazali, dirigeant d’une influente faction du Hachd, est tentée par la confrontation.

Un autre camp est en faveur d' "une approche alternative : ralentir la formation du gouvernement, et tenter un rapprochement au sein de la +maison chiite+ en courtisant M. Sadr ", selon une analyse publiée par Hamdi Malik et Michael Knights du Washington Institute.

" Le Cadre de coordination pourrait objecter à des élections ", reconnaît M. al-Shammari, " mais ce serait surtout pour obtenir certaines garanties: un changement de la loi électorale (…) ou de la commission électorale, ou même sur la formation du gouvernement ".

De son côté, l’analyste Fanar Haddad rappelle que " la politique irakienne frôle souvent le bord du gouffre avant que les acteurs ne décident de résoudre leurs différends à huis clos ".

Il n’exclut pas un accord entre les deux camps, notamment que " par le passé, M. Sadr a effectué des virages à 180 degrés ".

In fine, dit-il, " le scénario le plus probable reste la désignation d’un Premier ministre de consensus ".

Pas encore de confrontation directe
Trublion de la scène politique, Moqtada el Sadr a été jusqu’à faire occuper le Parlement par ses fidèles, demandant des élections législatives anticipées, qui, il l’espère, lui seront plus favorables. (AFP)

Actuellement, la balle est dans le camp des adversaires de M. Sadr, résume le politologue Ali al-Baidar.

" S’ils s’entêtent, M. Sadr peut aller vers l’escalade, paralyser le pouvoir exécutif, paralyser la capitale ", ajoute-t-il.

Selon lui, l’occupation du Parlement s’apparente à " un avertissement adressé à la classe politique sur ce qui pourrait advenir si elle ne respecte pas la volonté de M. Sadr ".

Dans un pays déchiré par des décennies de conflit, le traumatisme reste vivace et les craintes d’un affrontement inter-chiite est dans tous les esprits.

Les politiciens ont tous appelé à éviter l’effusion de sang.

Toujours est-il que la marge de manœuvre des adversaires de M. Sadr est limitée : leur influent parrain iranien ne veut pas d’une escalade, estiment des experts.

Téhéran " empêche le Cadre de coordination, et particulièrement les factions armées, d’aller vers l’affrontement ", estime M. Shammari.

L’Iran considère que des " solutions politiques " sont encore possibles, ajoute-t-il. " Mais si des affrontements éclatent, il sera difficile de contrôler les armes dont disposent les deux camps ".

Avec AFP