Au Caire, l’incendie d’une petite église copte a tué plusieurs dizaines de personnes dimanche. Un drame qui rappelle la précarité des lieux de cultes de cette minorité chrétienne et l’insuffisance des solutions proposées par l’État.

Dimanche, un générateur en surchauffe a mis le feu à un climatiseur de l’église d’Abou Sifine, un quartier populaire du Caire. Parmi les 200 fidèles présents pour la messe, 41 sont morts asphyxiés par la fumée alors que les secours tardaient à venir. Un drame entre autres imputables à l’absence de règles de sécurité, de service d’urgences adéquats et de locaux adaptés.

Pourtant, construire ou rénover une église serait "devenu plus simple " grâce à une loi votée en 2016, assure le père Yohanna, qui a perdu six proches ce jour-là. Un texte qui selon l’État, a permis de "légaliser" 1.077 églises et se targue d’être un "modèle multiconfessionnel unique de coexistence et d’unité nationale".

 

Les Coptes constituent près de 10% de la population égyptienne, mais sont fortement sous-représentés dans l’emploi public et la représentation politique. (AFP)
Coexistence de façade ?

Pour l’historienne Amy Fallas, cette loi serait avant tout un argument d’autorité permettant de taxer les militants qui dénoncent des discriminations à l’encontre des coptes "de comportement anti-patriotique".

ONG des droits humains la plus en vue d’Egypte, l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), accuse même cette nouvelle loi d’avoir creusé un peu plus le fossé.

Selon elle, seules 40% des demandes de construction ou de rénovation d’église ont obtenu un accord préliminaire des autorités et 20% un accord définitif.

De nombreux villages coptes sont dans l’incapacité de construire une église, faute de permis administratif, ce qui les contraint à l’illégalité. (AFP)

 

L’église Abou Sifine incarne ces déboires: nichée dans un immeuble du dédale de ruelles du quartier d’Imbaba, à peine assez large pour laisser passer une voiture, elle n’avait qu’une entrée, rapidement barrée par les flammes, selon les témoins.

Dans les étages, les escaliers étroits qui menaient aux salles pour l’enseignement et autres services proposés par l’église sont rapidement devenus des nasses forçant des fidèles à se "jeter par les fenêtres", a raconté un témoin à l’AFP.

Si les autorités disent être arrivées en deux minutes, les témoins affirment qu’elles ne sont arrivées qu’après une heure et demi. (AFP)
Manque d’espace

L’église ne faisait "que 120 mètres carrés", a rapporté le pape Tawadros II, chef de l’Eglise copte orthodoxe.

Il faut "la relocaliser dans un espace plus grand", a-t-il plaidé, parce que nombre des 10 à 15 millions de Coptes d’Egypte vivent à Imbaba.

Mais dans une mégalopole de plus de 20 millions d’habitants, la tentation est grande de construire là où il y a de la place: dans la grande banlieue.

"Ce n’est pas pratique", répond le père Yohanna. "Les lieux de culte doivent être proches des zones où habitent" les coptes, majoritairement installés dans les quartiers anciens du centre du Caire.

Le pape copte Tawadros II est en excellent terme avec le président Sissi, selon l’équation  " support politique contre protection des chrétiens " . (AFP)

 

Tawadros II lui-même pourtant partisan déclaré du président Abdel Fattah al-Sissi- l’a reconnu: les coptes doivent souvent faire avec "de petites églises dans des endroits inadéquats", souvent des maisons ou des immeubles des quartiers populaires sans détecteur de fumée ni issue de secours.

Discriminations

Après Abou Sifine, deux autres églises ont été endommagées par des incendies nés de court-circuits.

"A chaque fois, c’est une question de vie ou de mort qui touche de façon disproportionnée des églises de quartiers pauvres", affirme Mme Fallas à l’AFP.

Mais évoquer la discrimination des coptes, qui se plaignent régulièrement d’être tenus à l’écart en Egypte, n’est pas sans risque.

En janvier, neuf coptes sont sortis de trois mois de prison pour avoir réclamé la reconstruction de la seule église de leur village, Ezbet Faragallah, au sud du Caire.

En 2016, l’église Saint Joseph était partie en fumée dans un incendie "volontaire" selon l’EIPR, alors que les coptes subissaient aussi des attaques d’islamistes radicaux notamment après le renversement par l’armée en 2013 du président islamiste Mohamed Morsi.

 

 

Largement endommagée, Saint Joseph a été officiellement démolie en 2021 mais les autorités n’ont toujours pas délivré de permis de reconstruire alors qu’elles devaient répondre, selon la loi de 2016, sous quatre mois.

L’église Abou Sifine d’Imbaba, elle, a obtenu un traitement différent. Avec tous les regards braqués sur les petits cercueils des victimes emportées dimanche par le feu, le génie militaire a annoncé qu’il la rénoverait sur ordre de M. Sissi en personne.

D’ici là, comme à Ezbet Faragallah, ses fidèles risquent de devoir se contenter d’une maison ou d’un appartement. Ces fameuses "petites églises dans des endroits inadéquats".

 

Avec AFP

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