L’Ukraine est-elle en train d’adopter une nouvelle stratégie défensive qui passe par la Crimée? Deux attaques en août dernier contre la péninsule et une violente explosion qui a paralysé samedi le seul point de passage entre la Russie et la Crimée, sans franchir le territoire ukrainien, viennent confirmer cette thèse. Pour le moment, une chose est sûre: cette explosion vient s’ajouter aux revers subi par l’armée russe, qui a fait de la Crimée, annexée par Moscou en 2014, une base arrière logistique servant son invasion de l’Ukraine.

L’armée russe a annoncé samedi la nomination d’un nouveau commandant de son " opération militaire spéciale " en Ukraine après une série de revers cuisants sur le terrain et de signes de mécontentement croissant au sein des élites sur la conduite du conflit.

" Le général d’armée Sergueï Sourovikine a été nommé commandant du groupement combiné de troupes dans la zone de l’opération militaire spéciale " en Ukraine, a annoncé le ministère russe de la Défense sur Telegram.

M. Sourovikine, 55 ans, est un vétéran de la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990, de la deuxième guerre de Tchétchénie dans les années 2000 et de l’intervention russe en Syrie lancée en 2015.

Il dirigeait jusque là le groupement de forces " Sud " en Ukraine, selon un rapport du ministère russe datant de juillet.

Le nom de son prédécesseur n’a jamais été révélé officiellement, mais selon les médias russes, il s’agissait du général Alexandre Dvornikov, lui aussi un vétéran de la deuxième guerre de Tchétchénie et commandant des forces russes en Syrie de 2015 à 2016.

Cette décision qui a été, fait rare, rendue publique par Moscou, intervient après une série de défaites cuisantes subies par l’armée russe en Ukraine.

Les forces de Moscou ont été chassées début septembre de l’essentiel de la région de Kharkiv, dans le nord-est, à la faveur d’une contre-offensive ukrainienne qui a permis à Kiev de reprendre des milliers de kilomètres carrés de territoire.

Les troupes russes ont aussi perdu 500 kilomètres carrés de territoire dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, et ont échappé de justesse à l’encerclement à Lyman, nœud logistique désormais aux mains de Kiev.

Ces revers ont provoqué des critiques au sein de l’élite russe, le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov fustigeant notamment le commandement militaire, tandis qu’un haut responsable parlementaire, Andreï Kartapolov, a appelé publiquement l’armée à " arrêter de mentir " sur ses défaites.

(Crédit photo: chaîne ukrainienne " Truxa " sur Telegram)

 

Le pont de Crimée, infrastructure clé et symbolique reliant la Russie à la péninsule annexée en 2014 au détriment de l’Ukraine, a été partiellement détruit samedi par une énorme explosion attribuée par Moscou à un camion piégé.

Après avoir pu sembler, par un tweet ironique samedi matin, reconnaître à mi-mots une attaque ukrainienne, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak a renvoyé plus tard vers une " piste russe ", avançant que l’explosion était le résultat d’une lutte interne entre le FSB (services spéciaux russes) et les militaires russes.

Les images de vidéosurveillance diffusées sur les réseaux sociaux ont montré une puissante explosion au moment où plusieurs véhicules circulaient sur le pont, dont un camion que les autorités russes soupçonnent d’être à l’origine de la déflagration. Sur d’autres clichés, on peut voir un convoi de wagons citernes en flammes sur la partie ferroviaire du pont, et deux travées d’une des deux voies routières effondrées.

 

Selon les enquêteurs, l’attaque survenue au petit matin a fait trois morts: le conducteur du camion et deux personnes — un homme et une femme — qui se trouvaient dans une voiture juste à proximité lors de la déflagration et dont les corps ont été sortis des eaux.

Les autorités de Crimée ont annoncé dans l’après-midi que la circulation avait repris pour les voitures et les bus sur la seule voie routière du pont restée intacte. Les poids-lourds feront désormais la traversée sur des ferry. Le trafic ferroviaire devait être restauré dans la soirée, et un opérateur de la ligne a indiqué que deux trains avaient démarré à destination de Moscou et Saint-Pétersbourg.

Le Comité d’enquête a affirmé avoir établi l’identité du propriétaire du camion piégé, un habitant de la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie, et que des investigations étaient en cours.

Ce pont en béton, construit à grands frais sur ordre de Vladimir Poutine pour relier la péninsule annexée au territoire russe, sert notamment au transport d’équipements militaires de l’armée russe combattant en Ukraine.

Si l’Ukraine est à l’origine de l’incendie et de l’explosion sur le pont de Crimée, le fait qu’une infrastructure aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.

" La Crimée. Le pont. Le commencement. Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l’Ukraine ", avait commenté dans la matinée sur Twitter Mikhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Dans un communiqué diffusé plus tard par la présidence, il a cependant attribué l’explosion à une lutte interne entre le FSB et l’armée russe.

" Il convient de noter que le camion qui a explosé, selon toutes les indications, est entré sur le pont depuis le côté russe. C’est donc en Russie qu’il faut chercher les réponses (…) tout cela indique clairement une piste russe ", a-t-il déclaré.

La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a considéré cependant que les réactions à Kiev montraient la " nature terroriste " des autorités ukrainiennes.

Le pont de Kertch qui relie la Russie continentale à la Crimée a été inauguré en 2018 en grande pompe par Vladimir Poutine. (Licence Commons)

 

L’armée russe, en difficulté sur le front de Kherson dans le sud de l’Ukraine, a elle assuré que l’approvisionnement de ses troupes n’était pas menacé. " Le ravitaillement (…) s’effectue de manière continue et complète, le long d’un couloir terrestre et partiellement par voie maritime ", a-t-elle annoncé.

L’Ukraine a frappé plusieurs ponts dans la région de Kherson ces derniers mois afin de perturber l’approvisionnement russe, ainsi que des bases militaire en Crimée, des attaques pour lesquelles elle n’a reconnu de responsabilité que plusieurs mois plus tard.

Si Moscou s’est pour le moment gardé d’accuser directement l’Ukraine, le chef du parlement régional installé par la Russie, Vladimir Konstantinov a dénoncé un coup " des vandales ukrainiens ".

Le dirigeant de la péninsule, Sergueï Aksionov s’est lui efforcé de rassurer en affirmant que la Crimée disposait de réserves de carburant pour un mois et de nourriture pour deux mois.

Selon un responsable de l’occupation russe dans la région ukrainienne de Kherson, voisine de la Crimée, Kirill Stremooussov, les réparations pourraient prendre " deux mois ".

 

L’Ukraine avait menacé le mercredi 17 août de " démanteler " le pont de Kertch qui relie la Russie continentale à la Crimée, inauguré en 2018 après une construction ultra-rapide et à grands frais pour permettre un passage routier depuis la Russie vers la péninsule, sans passer par l’Ukraine. (Licence Commons)

 

 

La Russie a toujours affirmé que le pont ne risquait rien en dépit des combats en Ukraine, mais elle a menacé par le passé Kiev de représailles si les forces ukrainiennes devaient attaquer cette infrastructure ou d’autres en Crimée.

Le député russe Oleg Morozov, cité par l’agence Ria Novosti, a réclamé samedi une réplique " adéquate ". " Sinon, ce type d’attentat terroriste va se multiplier ", a-t-il dit.

 

 

Depuis début septembre, les forces russes ont été obligées de reculer sur de nombreux points du front. Elles ont notamment été obligées de se retirer de la région de Kharkiv (nord-est) et de reculer dans celle de Kherson.

Confronté à une armée ukrainienne galvanisée et forte des approvisionnements en armes occidentales, Vladimir Poutine a décrété fin septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes et l’annexion de quatre régions ukrainiennes bien que Moscou ne les contrôle que partiellement.

Le seul champ de bataille où les forces russes ont actuellement l’avantage est aux abords de la ville de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine.

 

Signe du mécontentement en haut lieu sur la conduite des opérations, Moscou a annoncé samedi avoir nommé un nouvel homme à la tête de son " opération militaire spéciale " en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, 55 ans.

Enfin la centrale nucléaire de Zaporijjia, au centre d’un bras de fer depuis des mois dans le sud de l’Ukraine, qui a nécessité son arrêt, a de nouveau perdu sa source d’alimentation électrique externe en raison de bombardements et s’appuie sur des générateurs d’urgence, a alerté samedi l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dont une mission est sur place.

Avec AFP