En Russie, l'élite grogne. L'armée subit des défaites cuisantes et perd des territoires qu'elle a conquis, une énorme quantité de matériels détruits et des pertes humaines si graves que le Kremlin a décidé une mobilisation très impopulaire. Samedi, Moscou a subi un affront de taille avec l'explosion du pont de Kertch, seule voie terrestre reliant la Russie à la Crimée sans traverser le territoire ukrainien. Cerise sur le gâteau, le président Poutine a nommé un nouveau commandant pour son "opération militaire spéciale" en Ukraine. Les critiques ciblent surtout les généraux, elles épargnent bien sûr Poutine et le chef de l'armée. Est-ce un début d'un mouvement de contestation du régime, ou une simple réaction d'une élite réputée, comme le peuple russe, patriote et chauvine?
Le pont de Crimée, infrastructure clé et symbolique reliant la Russie à la péninsule annexée en 2014 au détriment de l'Ukraine, a été partiellement détruit samedi par une énorme explosion attribuée par Moscou à un camion piégé.
Selon les enquêteurs, l'attaque survenue au petit matin a fait trois morts. Les autorités de Crimée ont annoncé dans l'après-midi que la circulation avait repris pour les voitures et les bus sur la seule voie routière du pont restée intacte. Les poids-lourds feront désormais la traversée sur des ferry. Le trafic ferroviaire devait être restauré plus tard.
Ce pont en béton, construit à grands frais sur ordre de Vladimir Poutine pour relier la péninsule annexée au territoire russe, sert notamment au transport d'équipements militaires de l'armée russe combattant en Ukraine.
Si l'Ukraine est à l'origine de l'incendie et de l'explosion sur le pont de Crimée, le fait qu'une infrastructure aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.
Après avoir pu sembler, par un tweet ironique samedi matin, reconnaître à mi-mots une attaque ukrainienne, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak a renvoyé plus tard vers une "piste russe", avançant que l'explosion était le résultat d'une lutte interne entre le FSB (services spéciaux russes) et les militaires russes.
"La Crimée. Le pont. Le commencement. Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l'Ukraine", avait commenté dans la matinée sur Twitter Mikhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Dans un communiqué diffusé plus tard par la présidence, il a cependant attribué l'explosion à une lutte interne entre le FSB et l'armée russe. "Il convient de noter que le camion qui a explosé, selon toutes les indications, est entré sur le pont depuis le côté russe. C'est donc en Russie qu'il faut chercher les réponses (...) tout cela indique clairement une piste russe", a-t-il déclaré.
La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a considéré néanmoins que les réactions à Kiev montraient la "nature terroriste" des autorités ukrainiennes.
Confronté à une armée ukrainienne galvanisée et forte des approvisionnements en armes occidentales, Vladimir Poutine a décrété fin septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes et l'annexion de quatre régions ukrainiennes bien que Moscou ne les contrôle que partiellement.
A Kiev, des Ukrainiens réagissent positivement à l'explosion qui a endommagé le pont de Crimée reliant la Russie à cette péninsule ukrainienne annexée.
Signe du mécontentement en haut lieu sur la conduite des opérations, Moscou a annoncé samedi avoir nommé un nouvel homme à la tête de son "opération militaire spéciale" en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, 55 ans. C'est un vétéran de la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990, de la seconde guerre de Tchétchénie dans les années 2000 et de l’intervention russe en Syrie lancée en 2015.
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Le nom de son prédécesseur n’a jamais été révélé officiellement, mais selon les médias russes, il s’agissait du général Alexandre Dvornikov, lui aussi un vétéran de la seconde guerre de Tchétchénie et commandant des forces russes en Syrie de 2015 à 2016.
Cette décision qui a été, fait rare, rendue publique par Moscou, intervient après une série de défaites cuisantes subies par l’armée russe en Ukraine. Les forces de Moscou ont été chassées début septembre de l’essentiel de la région de Kharkiv, dans le nord-est, à la faveur d’une contre-offensive ukrainienne qui a permis à Kiev de reprendre des milliers de kilomètres carrés de territoire.
Les troupes russes ont aussi perdu 500 kilomètres carrés de territoire dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, et ont échappé de justesse à l’encerclement à Lyman, nœud logistique désormais aux mains de Kiev.
L'accumulation des défaites en Ukraine a donné naissance à d'étonnants accès de colère au sein de l'élite russe, toujours favorable à l'assaut, mais exaspérée par les non-dits de l'armée, certains allant jusqu'à souhaiter l'exécution de responsables militaires.
Jusqu'aux revers en série du mois de septembre, les critiques de l'armée étaient rares dans l'espace public, l'offensive contre l'Ukraine ayant été présentée comme une mission patriotique sacrée tandis que le dénigrement des forces russes est devenu passible de lourdes peines de prison.
La déliquescence du matériel militaire russe a sérieusement entamé l'image de l'armée.
Si personne au sein de l'élite ne remet en cause le bien-fondé du point de vue de Moscou ou de l'attaque contre son voisin, les défaites militaires et les ratés de la mobilisation de centaines de milliers de réservistes ont conduit des figures publiques d'ordinaire dociles à s'en prendre à la hiérarchie militaire.
Mercredi, le chef du comité de Défense de la chambre basse du Parlement a lâché que l'armée devait "arrêter de mentir", alors que dans ses briefings quotidiens elle se félicite d'infliger des pertes énormes aux forces ukrainiennes, sans mentionner ses retraites.
Les Russes ont perdu des centaines de blindés, très vulnérables aux armes occidentales.
"Les gens savent. Notre peuple n'est pas stupide. Et il voit qu'on ne veut pas lui dire ne serait-ce qu'une partie de la vérité. Cela peut entraîner une perte de crédibilité", a déclaré Andreï Kartapolov, un ancien général, au micro de l'émission en ligne de Vladimir Soloviov, présentateur vedette et figure ultra-patriotique de la sphère médiatique russe.
Ce commentateur sanctionné par l'Union européenne n'était pas en reste cette semaine, estimant que certains au sein du commandement militaire méritaient le peloton d'exécution.
Le président Poutine et les dirigeants des régions annexées célébrant leur "retour à la mère patrie".
Autre exemple, Alexandre Kots, reporter de guerre star du journal Komsomolskaïa Pravda, disait lui sur sa chaîne Telegram qu'"il n'y aura(it) pas de bonnes nouvelles (du front) dans un avenir proche".
La virulence des propos des uns et le sentiment défaitiste d'autres est d'autant plus frappant que Vladimir Poutine a décrété l'annexion de quatre régions ukrainiennes, événement célébré par un grand concert sur la Place Rouge où le maître du Kremlin a lancé à une foule brandissant les drapeaux russes: "La victoire sera à nous".
Certes aucune critique ne vise le tout puissant chef de l'Etat, ni son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Mais quand le maître de la Tchétchénie, le redoutable Ramzan Kadyrov, s'en est pris aux généraux russes, a appelé au recours à l'arme nucléaire et sous-entendu que le président russe était mal informé, le Kremlin a dû réagir.
"Dans les moments difficiles, les émotions doivent être exclues (...) Nous préférons faire des évaluations (de la situation) mesurées et objectives", a répliqué Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence.
Quant à Vladimir Poutine, il a dû admettre publiquement les "erreurs" commises lors de la mobilisation, face à l'avalanche de cas documentés de personnes inaptes à combattre qui ont été convoqués pour rejoindre le front.
Largement anéanti par la répression depuis deux ans et l'incarcération de sa figure de proue Alexeï Navalny, l'opposition, qui fonctionne essentiellement depuis l'étranger, veut tenter de se restructurer en Russie, espérant pouvoir capitaliser sur ou alimenter un éventuel mécontentement populaire.
Le principal opposant russe Alexeï Navalny est actuellement emprisonné.
Georges Haddad, avec AFP.
Le pont de Crimée, infrastructure clé et symbolique reliant la Russie à la péninsule annexée en 2014 au détriment de l'Ukraine, a été partiellement détruit samedi par une énorme explosion attribuée par Moscou à un camion piégé.
Selon les enquêteurs, l'attaque survenue au petit matin a fait trois morts. Les autorités de Crimée ont annoncé dans l'après-midi que la circulation avait repris pour les voitures et les bus sur la seule voie routière du pont restée intacte. Les poids-lourds feront désormais la traversée sur des ferry. Le trafic ferroviaire devait être restauré plus tard.
Ce pont en béton, construit à grands frais sur ordre de Vladimir Poutine pour relier la péninsule annexée au territoire russe, sert notamment au transport d'équipements militaires de l'armée russe combattant en Ukraine.
Opération ukrainienne?
Si l'Ukraine est à l'origine de l'incendie et de l'explosion sur le pont de Crimée, le fait qu'une infrastructure aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.
Après avoir pu sembler, par un tweet ironique samedi matin, reconnaître à mi-mots une attaque ukrainienne, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak a renvoyé plus tard vers une "piste russe", avançant que l'explosion était le résultat d'une lutte interne entre le FSB (services spéciaux russes) et les militaires russes.
"La Crimée. Le pont. Le commencement. Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l'Ukraine", avait commenté dans la matinée sur Twitter Mikhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Dans un communiqué diffusé plus tard par la présidence, il a cependant attribué l'explosion à une lutte interne entre le FSB et l'armée russe. "Il convient de noter que le camion qui a explosé, selon toutes les indications, est entré sur le pont depuis le côté russe. C'est donc en Russie qu'il faut chercher les réponses (...) tout cela indique clairement une piste russe", a-t-il déclaré.
La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a considéré néanmoins que les réactions à Kiev montraient la "nature terroriste" des autorités ukrainiennes.
Confronté à une armée ukrainienne galvanisée et forte des approvisionnements en armes occidentales, Vladimir Poutine a décrété fin septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes et l'annexion de quatre régions ukrainiennes bien que Moscou ne les contrôle que partiellement.
A Kiev, des Ukrainiens réagissent positivement à l'explosion qui a endommagé le pont de Crimée reliant la Russie à cette péninsule ukrainienne annexée.
Moscou change de commandant en Ukraine
Signe du mécontentement en haut lieu sur la conduite des opérations, Moscou a annoncé samedi avoir nommé un nouvel homme à la tête de son "opération militaire spéciale" en Ukraine, le général Sergueï Sourovikine, 55 ans. C'est un vétéran de la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990, de la seconde guerre de Tchétchénie dans les années 2000 et de l’intervention russe en Syrie lancée en 2015.
[gallery size="full" columns="1" ids="135169"]
Le nom de son prédécesseur n’a jamais été révélé officiellement, mais selon les médias russes, il s’agissait du général Alexandre Dvornikov, lui aussi un vétéran de la seconde guerre de Tchétchénie et commandant des forces russes en Syrie de 2015 à 2016.
Cette décision qui a été, fait rare, rendue publique par Moscou, intervient après une série de défaites cuisantes subies par l’armée russe en Ukraine. Les forces de Moscou ont été chassées début septembre de l’essentiel de la région de Kharkiv, dans le nord-est, à la faveur d’une contre-offensive ukrainienne qui a permis à Kiev de reprendre des milliers de kilomètres carrés de territoire.
Les troupes russes ont aussi perdu 500 kilomètres carrés de territoire dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, et ont échappé de justesse à l’encerclement à Lyman, nœud logistique désormais aux mains de Kiev.
L'élite russe grogne
L'accumulation des défaites en Ukraine a donné naissance à d'étonnants accès de colère au sein de l'élite russe, toujours favorable à l'assaut, mais exaspérée par les non-dits de l'armée, certains allant jusqu'à souhaiter l'exécution de responsables militaires.
Jusqu'aux revers en série du mois de septembre, les critiques de l'armée étaient rares dans l'espace public, l'offensive contre l'Ukraine ayant été présentée comme une mission patriotique sacrée tandis que le dénigrement des forces russes est devenu passible de lourdes peines de prison.
La déliquescence du matériel militaire russe a sérieusement entamé l'image de l'armée.
Si personne au sein de l'élite ne remet en cause le bien-fondé du point de vue de Moscou ou de l'attaque contre son voisin, les défaites militaires et les ratés de la mobilisation de centaines de milliers de réservistes ont conduit des figures publiques d'ordinaire dociles à s'en prendre à la hiérarchie militaire.
Mercredi, le chef du comité de Défense de la chambre basse du Parlement a lâché que l'armée devait "arrêter de mentir", alors que dans ses briefings quotidiens elle se félicite d'infliger des pertes énormes aux forces ukrainiennes, sans mentionner ses retraites.
Les Russes ont perdu des centaines de blindés, très vulnérables aux armes occidentales.
"Les gens savent. Notre peuple n'est pas stupide. Et il voit qu'on ne veut pas lui dire ne serait-ce qu'une partie de la vérité. Cela peut entraîner une perte de crédibilité", a déclaré Andreï Kartapolov, un ancien général, au micro de l'émission en ligne de Vladimir Soloviov, présentateur vedette et figure ultra-patriotique de la sphère médiatique russe.
Ce commentateur sanctionné par l'Union européenne n'était pas en reste cette semaine, estimant que certains au sein du commandement militaire méritaient le peloton d'exécution.
Le président Poutine et les dirigeants des régions annexées célébrant leur "retour à la mère patrie".
La fête de l'annexion
Autre exemple, Alexandre Kots, reporter de guerre star du journal Komsomolskaïa Pravda, disait lui sur sa chaîne Telegram qu'"il n'y aura(it) pas de bonnes nouvelles (du front) dans un avenir proche".
La virulence des propos des uns et le sentiment défaitiste d'autres est d'autant plus frappant que Vladimir Poutine a décrété l'annexion de quatre régions ukrainiennes, événement célébré par un grand concert sur la Place Rouge où le maître du Kremlin a lancé à une foule brandissant les drapeaux russes: "La victoire sera à nous".
Certes aucune critique ne vise le tout puissant chef de l'Etat, ni son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Mais quand le maître de la Tchétchénie, le redoutable Ramzan Kadyrov, s'en est pris aux généraux russes, a appelé au recours à l'arme nucléaire et sous-entendu que le président russe était mal informé, le Kremlin a dû réagir.
"Dans les moments difficiles, les émotions doivent être exclues (...) Nous préférons faire des évaluations (de la situation) mesurées et objectives", a répliqué Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence.
Quant à Vladimir Poutine, il a dû admettre publiquement les "erreurs" commises lors de la mobilisation, face à l'avalanche de cas documentés de personnes inaptes à combattre qui ont été convoqués pour rejoindre le front.
Largement anéanti par la répression depuis deux ans et l'incarcération de sa figure de proue Alexeï Navalny, l'opposition, qui fonctionne essentiellement depuis l'étranger, veut tenter de se restructurer en Russie, espérant pouvoir capitaliser sur ou alimenter un éventuel mécontentement populaire.
Le principal opposant russe Alexeï Navalny est actuellement emprisonné.
Georges Haddad, avec AFP.
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