Dans le Kentucky, la campagne bat son plein avant le référendum qui propose de réformer la Constitution locale et d’ajouter la mention que " rien dans la Constitution du Kentucky ne crée un droit à avorter ". Le but : empêcher que la loi anti-IVG soit bloquée par les tribunaux. Les citoyens se mobilisent pour ou contre la réforme, dans une véritable bataille de " valeurs " qui oppose deux visions différentes de l’Amérique. 

Depuis que la Cour suprême a rendu, le 24 juin, sa liberté à chaque État en matière d’interruption de grossesse, le sujet est devenu l’un des principaux enjeux des scrutins locaux. (AFP)

 

 

Leah Martin a fini aux urgences parce qu’elle n’avait pas le droit d’avorter dans son État du Kentucky. De cette expérience " horrible ", cette Américaine tire la force de faire du porte-à-porte contre une réforme de la Constitution locale.

Entouré de ses huit enfants, dont quatre adoptés, le pasteur Scott Van Neste manifeste au contraire pour le " oui " à un référendum qui vise à protéger la loi anti-IVG de l’État et se tiendra le 8 novembre, en marge des élections de mi-mandat aux États-Unis.

Leur point commun? Ils sont novices dans la sphère militante.

Depuis que la Cour suprême a rendu, le 24 juin, sa liberté à chaque État en matière d’interruption de grossesse, le sujet est devenu l’un des principaux enjeux des scrutins.

Mais seuls quatre États, dont le Kentucky dans le centre-est du pays, ont décidé d’organiser des référendums exclusivement sur cette question. En la dissociant des programmes et des étiquettes des candidats, ils ont permis à des citoyens peu politisés de s’engager dans ce qui est, pour eux, une affaire de " valeurs ".

Pour Leah Martin, c’est même un enjeu personnel.

En juin, cette femme mariée de 35 ans découvre avec joie qu’elle attend un second enfant. Las, à douze semaines de grossesse, les médecins détectent une anomalie chromosomique. " Mon bébé n’aurait pas survécu plus de dix mois et dans d’immenses souffrances ", confie-t-elle à l’AFP.

Le très conservateur Kentucky, profitant du revirement de la Cour suprême, venait toutefois d’interdire les avortements. " Les docteurs ont pleuré avec moi, en disant qu’ils ne pouvaient pas m’aider. "

Sous l’effet du " stress ", elle finit aux urgences. " Finalement, par un miracle insensé, un juge a bloqué la loi pendant une semaine et j’ai pu recevoir les soins nécessaires. "

Une mobilisation inédite 
De nombreux citoyens apolitiques se sont lancés dans le militantisme pour défendre ou s’opposer à la réforme anti-avortement de la Constitution du Kentucky. (AFP)

 

 

Pour dépasser son traumatisme, cette cadre en marketing, pour qui la politique a toujours été " une affaire privée ", décide de s’impliquer dans la campagne référendaire.

Contrairement aux autorités démocrates de Californie, du Vermont et du Michigan qui veulent inscrire le droit à l’IVG dans leur Constitution, les élus républicains locaux proposent d’ajouter que " rien dans la Constitution du Kentucky ne crée un droit à avorter ". Leur but: empêcher les tribunaux de bloquer l’actuelle loi.

Si un tel amendement avait existé cet été, Leah Martin n’aurait pas pu interrompre sa grossesse. C’est ce qu’elle a décidé d’expliquer aux électeurs lors d’une campagne de porte-à-porte dans sa ville de Lexington.

" Ce n’est pas du tout ma nature ", confie-t-elle avec nervosité, avant de s’avancer vers le perron d’une maison imposante. " Mais il y a des choses qui sont trop importantes ".

À quelques encablures, Molly Kimbrell, 61 ans, s’essaie aussi à l’art du démarchage.

" La politique, ce n’est pas mon truc ", souligne cette infirmière dynamique qui, à l’âge de 14 ans, a avorté après " une bêtise de môme ". " Scandalisée " que les femmes n’aient plus cette option, elle a décidé " de sortir ses fesses de son canapé ".

Une société divisée autour de l’avortement 
Une loi de 1954 interdit aux églises de soutenir des candidats, mais ne s’applique pas aux référendums. De nombreux pasteurs se sont ainsi lancés dans la campagne depuis les autels. (AFP)

 

 

Tout aussi déterminé, Scott Van Neste, 47 ans, s’est rendu le 1er octobre à un rassemblement pour le " oui " au référendum devant le Capitole du Kentucky, à Frankfort. Lui non plus n’est pas habitué à ce type d’exercice: de toute sa vie, il n’a manifesté qu’une seule fois.

Mais convaincu que " toute vie est précieuse ", il veut défendre la loi en vigueur dans son État, même si elle interdit d’avorter en cas d’inceste ou de viol.

" On ne va pas punir les bébés pour les abus des autres… ", ajoute ce pasteur baptiste qui n’hésite pas à parler du scrutin lors de ses sermons.

Une loi de 1954 interdit aux églises de soutenir des candidats mais ne s’applique pas aux référendums, souligne Addia Wuchner, organisatrice de l’événement. Sur le parking du Capitole, plusieurs bus portent d’ailleurs les couleurs d’organisations religieuses.

" Cette fois, on peut faire campagne depuis les autels ", se réjouit cette ancienne élue républicaine, en espérant convaincre " les électeurs indépendants qui respectent la vie " de se rendre aux urnes.

Abigail Butler, 25 ans, en fait partie. Cette étudiante en théologie a été bénévole dans des " centres de crise " qui tentent de décourager les femmes d’avorter, mais elle jure ne " pas être militante, juste passionnée sur ce dossier ".

Originaire de Floride, elle a pris soin de s’inscrire sur les listes électorales du Kentucky pour participer au référendum.

L’enjeu est d’éviter ce qui s’est passé le 2 août au Kansas, où près de 60% des électeurs de cet État ancré dans le camp républicain ont rejeté un amendement anti-IVG grâce à une forte participation.

Ce résultat donne espoir à Leah Martin, tout comme l’attitude de son père. " Il est républicain, conservateur " et opposé aux avortements, énumère-t-elle. " Mais après m’avoir vu souffrir, il va voter non ".

Avec AFP