La France manque d’imams et les mosquées font souvent appel à des cadres religieux étrangers ou mal formés: pour remédier à ce problème et prévenir les dérives, une école vient de voir le jour à Strasbourg afin de former des imams maîtrisant " les textes et le contexte " de la République.

" On a 15 étudiants, c’est la première promotion, on avait prévu d’en avoir une vingtaine mais avec le Covid… Pour l’année prochaine on envisage d’avoir 40 étudiants ", explique Abdelhaq Nabaoui, le directeur de l’Ecole nationale des cadres religieux et aumôniers militaires (Encram).Celui-ci espère ensuite un développement exponentiel, jusqu’à " 400-500 étudiants dans cinq ans, pour couvrir toute l’Europe, tous les pays francophones ".

La formation dure trois ans, sous forme de cours du soir avec également plusieurs séminaires sur des thèmes précis. Les élèves se réunissent trois fois par semaine, soit dans les locaux de l’Encram, à Ostwald, dans la banlieue de Strasbourg, soit en visioconférence, comme cette élève qui habite à La Réunion et qui figure parmi les trois femmes de la formation.

M. Nabaoui, lui-même imam et ancien aumônier national des hôpitaux de France, est parti d’un constat simple: " Il y a un manque considérable d’imams en France. Soit vous avez des imams formés à l’étranger, qui ne connaissent pas la réalité française. Soit vous avez des gens français, mais autoproclamés: ils ne sont pas formés religieusement, donc il faut les former ".

A l’heure actuelle, il n’existe que deux formations possibles pour les imams en France, l’une dépendant de la Grande mosquée de Paris et l’autre à l’Institut européen des sciences humaines (IESH), dans le Morvan. Mais les quelques dizaines d’étudiants formés chaque année sont loin de combler les manques dans les nombreuses mosquées qui accueillent les cinq millions de musulmans de France.

" Pour nous, la formation c’est indispensable. Un imam doit connaître les textes scripturels mais il doit aussi connaître la réalité française, sinon il ne peut pas répondre aux attentes. D’où l’importance d’avoir une vision contextualisée, une formation en France, en français ", insiste Abdelhaq Nabaoui, qui est par ailleurs docteur en physique nucléaire.

Dans un premier temps, celui-ci a fondé en 2017 l’Enah, " avec un H ", l’Ecole nationale de l’aumônerie hospitalière. " Et après, l’idée a été développée pour faire une formation pour tous les cadres religieux, que ce soit imam ou aumônier dans les prisons ou les hôpitaux ".

L’école est ouverte à tout le monde et " notre souhait est de collaborer avec l’université pour que nos élèves étudient les matières profanes, philosophie, psychologie, histoire, à l’université ". A l’issue, l’étudiant obtiendra un diplôme universitaire, reconnu, et l’Encram lui délivrera un certificat.

Au programme de la formation, qui a reçu une " appréciation favorable " des services locaux de l’Etat, herméneutique coranique, clés de compréhension, l’islam des lumières, droit musulman ou finance islamique, avec des intervenants comme Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux, ou Ghaleb Bencheikh, le président de la Fondation de l’islam de France (FIF).

Le grand rabbin de Strasbourg Harold Abraham Weill ou un pasteur protestant sont également venus présenter leur religion aux élèves. " Il y a beaucoup de préjugés, beaucoup de fantasmes sur les autres religions, et le fait qu’ils puissent me poser leurs questions ça permet d’apaiser beaucoup les choses, de déconstruire des mythes ", note Harold Abraham Weill, ravi d’avoir été sollicité par Abdelhaq Nabaoui.

" Il est important que les futurs cadres soient imbibés de cette culture de coopération avec les autres responsables religieux ", insiste ce dernier. " Toutes les religions appellent à vivre ensemble, je suis donc très heureux d’accueillir mes collègues d’autres religions. "

Mejib Lejri, un des étudiants de cette première promotion, a en tout cas été " séduit " par cette nouvelle formation: " Je ne sais pas encore si je veux devenir imam, c’est en réflexion, mais je veux connaître plus à fond ma religion et surtout le contexte actuel d’un islam adapté au milieu social où on vit ", explique ce jeune retraité de 66 ans, ancien chef de service en pédiatrie.

" L’objectif est d’arriver à vivre dans la société avec tout le monde en pratiquant notre religion comme toutes les autres. Et ça permet aussi de cadrer un peu plus les jeunes, de les intéresser et d’avancer dans cette société ", souligne-t-il.

AFP

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