Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (le Brexit) a octroyé à Paris une grande marge de  manœuvre pour prendre le leadership européen et renforcer sa position en Europe et sur la scène internationale, grâce à une diplomatie efficace et active à différents niveaux, régionaux et internationaux.

Suite au Brexit, la France est devenue la seule puissance nucléaire de l’Union européenne. Partant, des discussions approfondies sur le rôle de la France dans la période à venir, notamment à la lumière des menaces sécuritaires sans précédent imposées par la guerre russe contre l’Ukraine, se déroulent loin des feux de la rampe sur les scènes politiques, diplomatiques et même militaires.

Certes, Kiev ne fait pas partie de la famille européenne, et encore moins de l’OTAN. Toutefois, sa position géographique aux portes de l’Europe, son affranchissement de l’hégémonie russe et son adoption de la démocratie comme système de gouvernance, ainsi que sa proximité avec l’Occident en général, sont autant des sources de préoccupations pour Paris, entre autres capitales européennes. Et pour cause: les menaces russes qui pèsent sur Kiev nécessitent des systèmes de défense solides, capables de repousser les missiles balistiques et non balistiques, sans compter les drones, devenus les nouvelles armes redoutables des temps modernes.

Voilà pourquoi la France plaide dans son discours officiel pour l’Europe de la défense "qui doit s’incarner dans différents cadres (coopérations bilatérales et "plurilatérales" entre États européens, Union européenne, OTAN). Son développement effectif et sa crédibilité à long terme supposent le développement d’une culture stratégique partagée entre Européens".

Cependant, au-delà de la rhétorique officielle et des éléments de langage de mise, que se passe-t-il réellement sur le terrain?

Jusqu’à présent, la France n’a toujours pas consenti au projet allemand, accepté par douze pays européens, d’adopter un bouclier anti-missiles en collaboration avec Israël et les États-Unis. De ce fait, Paris a été totalement exclu de ce projet, ainsi que les industries françaises de défense. Par ailleurs, comment occulter l’accord concernant la vente de sous-marins à l’Australie, qui s’élevait à près de 50 milliards de dollars, annulé par l’Australie et remplacé par un contrat avec les États-Unis et la Grande-Bretagne? Ce camouflet commercial pour la France, de surcroît de la part de ses alliés, a été plus pernicieux encore que n’importe quel revers infligé par ses ennemis!

Les appels répétés du président français Emmanuel Macron en faveur de la création d’une "armée européenne" s’apparentent à des tentatives françaises déguisées de s’affranchir "en douceur" de l’hégémonie américaine sur le continent européen, exercée par le biais de l’OTAN où les États-Unis ont un poids prépondérant. Pour rappel, l’une des options "de représailles" qu’envisageait Paris suite à l’affaire des sous-marins était de quitter cette alliance. Cependant, la crise a été contenue grâce à des contacts politiques intenses afin de clore l’affaire.

Ces développements soulèvent de vraies interrogations quant aux raisons du rejet continu européen de la proposition d’Emmanuel Macron. Dans l’ensemble, l’Europe, composée de pays riches, avec une population d’environ 500 millions d’habitants, dispose de grandes capacités humaines, technologiques et industrielles. Pourquoi donc ne s’émanciperait-elle pas, s’agissant de sa politique de sécurité et de défense vis-à-vis de l’influence de Washington?

Il semblerait que l’appréhension constante des Allemands face à l’influence croissante de la France, en Europe ou sur la scène internationale, soit l’une des principales raisons de ce rejet. En vérité, Berlin se trouve plus proche et plus à l’aise avec Washington qu’avec Paris.

Certes, le Président français a évoqué sa volonté de "renforcer les relations avec l’Allemagne", la considérant comme un "partenaire clé", tout en rappelant également que "la réussite du projet européen dépend partiellement de l’équilibre de notre partenariat". Or force est de constater que l’emploi de "partiellement" est loin d’être anodin.

Quoi qu’il en soit, la consolidation du projet européen s’avère ardue et complexe, dans un contexte de profonds défis identitaires et existentiels, notamment avec la montée en puissance des extrêmes droites européennes qui prônent chauvinisme, racisme et nationalisme. D’où la question: mais où va l’Europe?