Crise sanitaire, crise économique, pénuries localisées et refus occasionnel de certains commerces d’accepter de l’argent liquide: il n’en fallait pas plus à la sphère complotiste mondiale pour crier à la machination contre le cash. La raison supposée: la volonté des élites de contrôler, via l’argent numérique, les faits et gestes de la population. 

Pénurie de monnaie, banques ou commerces qui refuseraient le " cash " : depuis le Covid, les infox autour de la supposée fin de l’argent liquide se multiplient sur les réseaux sociaux, au point de devenir un leitmotiv complotiste.

Une thématique revenue ces dernières semaines à la faveur de l’inflation galopante.

Parmi les histoires les plus relayées, celle d’une banque allemande qui aurait " mis fin au cash ", ou encore un message viral sur Facebook mentionnant des frais bancaires sur les transactions par cartes si élevés qu’ils finiraient par " faire disparaître " l’argent de l’économie.

Mais la banque citée n’a pas cessé de gérer pièces et billets; et, même si des frais s’appliquent aux transactions dématérialisées, les sommes ne disparaissent pas de l’économie, ont expliqué à l’AFP sources bancaires et économistes.

De nombreux complotistes en sont certains: le cash disparaîtra au profit de transactions traçables par les autorités (AFP)

 

Autre rumeur début septembre: pénurie de liquide en France. En réalité, " aucune pénurie " mais un souci local dans une succursale bancaire, dû selon la Banque de France à une mauvaise gestion des commandes.

Même si les avancées technologiques et la pandémie ont fait progresser les paiements par carte ou smartphone, " les espèces, les pièces et les billets, ne sont pas du tout en voie de disparition ", selon Christophe Baud-Berthier, directeur des affaires fiduciaires de la Banque de France.

" De manière générale, les moyens de paiement sont complémentaires, le client doit avoir le choix, et particulièrement dans l’écosystème français, je ne crois pas en un système ‘cashless' ", estime aussi Loÿs Moulin, directeur du Développement du Groupement des cartes bancaires.

Si cette thématique est récurrente, c’est aussi qu’elle s’insère bien dans une grille de lecture complotiste, selon laquelle une société " cashless " serait synonyme d’un contrôle total par les autorités.

Les autorités, notamment européennes, se veulent rassurantes: aucune pénurie de cash n’est à prévoir (AFP)

 

Un café limite les paiements en liquide ? Des internautes américains en déduisent que toute la chaîne a décidé de refuser le " cash ": l’infox a fait le tour du monde cet été. Sous le mot-clé #boycottstarbucks, certains voyaient un complot mondial visant à éliminer le liquide pour surveiller et opprimer la population.

On retrouve dans ces rumeurs " ce triptyque liberté, surveillance via la technologie et État complice. Avec ces trois conjugués, on est complètement dans les marqueurs de l’univers complotiste ", analyse Romy Sauvayre, sociologue des croyances (CNRS).

Comme toutes les rumeurs, celle-ci s’appuie aussi sur d’autres craintes, celle de la technologie, et particulièrement de " la peur de ce qu’on va faire de nos données ", fondée par des scandales à répétition.

Ici, " le message est extrêmement simple, il parle à tout le monde: ‘je suis attaché à ma liberté, alors il faut que je conserve mon argent en liquide' ", dit-elle encore.

Pour autant, si infox, rumeurs et manipulations sont légion, la numérisation des transactions permet bien leur traçabilité.

C’est ce qui a pu mener certains pays, comme les Bahamas et le Nigeria, à déployer des monnaies numériques, pour " favoriser l’inclusion financière et réduire les paiements en espèces pour combattre la corruption et le commerce illégal ", relève Nathalie Janson, professeure associée d’économie à NEOMA Business School.

Parce que décentralisées et non traçables, les cryptomonnaies sont devenues une monnaie refuge (AFP)

 

Sans compter que, contrairement à ce que véhiculent certaines infox, la gestion de l’argent liquide a aussi un coût, ne serait-ce qu’en manutention.

La Banque centrale européenne réfléchit à une monnaie numérique, qui serait utilisable sur smartphone. Mais en France et en Europe, des instances comme la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) ou le Comité européen pour la protection des données (CEPD) sont chargées de protéger les données des usagers.

Depuis 2018, la durée de conservation des informations personnelles recueillies lors d’un paiement par carte bancaire est légalement limitée au temps de la transaction.

Reste néanmoins la Chine, déjà critiquée pour des violations des droits humains et qui a encore renforcé, avec le Covid, le contrôle social sur les citoyens via notamment la technologie.

Les transactions électroniques, par smartphone en particulier, y sont omniprésentes et le régime a renforcé son contrôle sur les géants du numérique, exigeant notamment de Tencent (WeChat Pay) qu’il soumette toute nouveauté logicielle à inspection avant sortie.

Enfin, le déploiement progressif d’un yuan numérique peut susciter des inquiétudes, dans un pays où le système est " cohérent avec le modèle de reprise de l’autorité du gouvernement sur l’économie ", note Nathalie Janson.

Avec AFP