La justice turque a condamné le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu ce mercredi à deux ans de prison pour " insulte à des responsables ". Il avait provoqué une défaite humiliante à l’AKP, le parti du président Erdogan en remportant la mairie d’Istanbul. Six mois avant les prochaines élections, cette condamnation s’accompagne d’une interdiction de mandat politique. 

Ekrem Imamoglu et son épouse Dilek au large du Bosphore: une autre image de la Turquie, plus moderne et laïque que celle véhiculée par Erdogan et ses alliés depuis déjà une vingtaine d’années.

Le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, figure de l’opposition turque, a été condamné mercredi à plus de deux ans de prison pour " insulte à des responsables " et à la même durée d’interdiction de mandat politique, à six mois d’élections cruciales en Turquie.

M. Imamoglu a aussitôt décidé de faire appel de cette condamnation à deux ans, sept mois et quinze jours de détention, a annoncé à l’AFP son avocat, Me Kemal Polat.

L’appel sera suspensif, a-t-il précisé, ce qui signifie que M. Imamoglu conservera son mandat de maire pendant l’examen de l’appel.

" Une poignée de personnes ne peuvent confisquer le pouvoir confié par le peuple. Notre lutte reprend avec encore davantage de force " a réagi M. Imamoglu après l’énoncé du verdict.

Le Palais de Justice d’Istanbul lourdement protégé par la police lors du procès.

Le verdict prononcé par un tribunal d’Istanbul assortit la condamnation à la prison de M. Imamoglu d’une " privation de certains droits ", dont celui d’éligibilité, pour la même durée que la peine de prison, ont indiqué les avocats.

Si la peine est confirmée en appel, " l’interdiction d’activité politique sera de la même durée que la peine prononcée ", a confirmé l’avocat.

Le maire, âgé de 52 ans, est vu comme un candidat potentiel à l’élection présidentielle de juin 2023 face au président Recep Tayyip Erdogan.

L’édile, membre du CHP (social-démocrate), le principal parti d’opposition au pouvoir de M. Erdogan, était accusé d’avoir qualifié " d’idiots " les membres du collège électoral qui avait invalidé son élection en mars 2019, ainsi que le ministre de l’Intérieur Souleyman Soylu.

Des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour saluer le nouveau maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu lors de sa prise de fonction (AFP)

Plusieurs centaines de partisans du maire, rassemblés devant la municipalité d’Istanbul, ont aussitôt réclamé " Gouvernement, Démission ! " et scandé " Droit, Loi, Justice ".

Le maire a toujours professé sa " confiance en la justice turque ", dénonçant une " affaire politique " et avouant avoir " honte de ce procès ".

" Il ne peut y avoir un tel jugement. C’est tragicomique ", estimait-il le mois dernier.

Humiliante défaite

M. Imamoglu s’est retrouvé dans le viseur du régime après avoir infligé en mars 2019 sa plus humiliante défaite au parti de M. Erdogan, en remportant la mairie d’Istanbul, qui était dirigée depuis 25 ans par le parti AKP au pouvoir.

Son élection a d’abord été annulée par le gouvernement, contraint de s’incliner trois mois plus tard face à la mobilisation de l’électorat qui a offert une plus large victoire à l’opposant.

Le maire d’opposition d’Istanbul Ekrem Imamoglu (à gauche) a été condamné à plus de deux ans et 7 mois de prison ce qui l’interdit de facto de tout mandat politique (AFP)

Quelque temps plus tard, Ekrem Imamoglu avait jugé " idiots " ceux qui avaient invalidé sa première élection, ce qui lui vaut d’être poursuivi en justice.

" Je ne faisais que répondre, en lui renvoyant ses propres termes, au ministre de l’Intérieur qui m’avait traité d’idiot ", a affirmé l’édile.

Alors que M. Imamoglu risque d’être interdit de politique si la peine est confirmée en appel, l’alliance de l’opposition, composée de six partis dont le CHP, n’est toujours pas parvenue à désigner un candidat commun pour la présidentielle qui doit se tenir d’ici six mois.Le maire d’Istanbul compte parmi une poignée de leaders d’opposition que les sondages donnent gagnants face à M. Erdogan, confronté à une grave crise économique et à une inflation officielle autour de 85%.

Les partisans d’Ekrem Imamoglu dans les rues d’Istanbul après sa victoire à la mairie d’Istanbul (AFP)

Mais le leader du CHP, Kemal Kilicdaroglu, préférerait se présenter lui-même, selon de nombreux observateurs.

M. Kilicdaroglu, en déplacement à Berlin, a avancé son retour en Turquie mercredi : avant de monter dans l’avion, il a dénoncé, dans un message vidéo posté sur Twitter, " un massacre de la loi " et " une justice pourrie ".

Tout en affirmant son soutien au chef de son parti, M. Imamoglu n’a pas fermé la porte à son éventuelle candidature, assurant mardi soir dans un entretien à la chaine de télévision Télé One que ses " épaules sont capables de porter toutes sortes de responsabilité ".

Avec AFP