Qu’est-ce qu’il y a en commun entre un château en Val-d’Oise, la loi dite des "biens mal acquis", un coup d’Etat en Syrie, un procès pour crime de guerre et la Légion d’honneur ?

Réponse : l’histoire rocambolesque de Rifaat al-Assad, frère du "bâtisseur de la Syrie moderne" et prétendant malheureux au poste de dictateur.

L’oncle de Bachar, actuel président ou ex-président selon les régions syriennes, menait pourtant une existence très discrète dans son exil doré entre Paris, Marbella et Londres.

Discrète, il est vrai, mais Rifaat al-Assad, qui a trouvé refuge en France au début des années 80 après avoir été contraint à l’exil suite à une tentative de coup d’Etat contre son frère Hafez, est poursuivi en justice en France dans le cadre du procès " des biens mal acquis ". En septembre, il a été reconnu coupable de "blanchiment en bande organisée de détournement de fonds publics" syriens.

 

Très récemment, la semaine dernière précisément, le maire de Bessancourt, une petite commune dans le Val-d’Oise, en banlieue parisienne, a écrit à Emmanuel Macron pour l’alerter sur le sort d’une dizaine de familles syriennes vivant encore dans un domaine appartenant à Rifaat al-Assad dans des " conditions insalubres, sans électricité ". " Nous ne pouvons pas laisser ces personnes sans solution cet hiver ", écrit le maire Jean-Christophe Poulet dans le courrier consulté.

Pour l’édile, " il est de la responsabilité de l’Etat d’agir vite. Un décès a eu lieu parmi les résidents le week-end dernier, des personnes ayant contracté la Covid ont été hospitalisées et une personne âgée doit être maintenue sous respirateur, ce qui nécessite des besoins en eau et en électricité ", a-t-il expliqué à l’AFP.

Près de 80 syriens, anciens employés de Rifaat al-Assad, vivent gracieusement dans le haras Saint-Jacques, composé d’un château et d’une piscine couverte rococo, d’écuries réaménagées en pavillons et de maisons de plus ou moins bonne facture. Ces familles étaient arrivées dans les années 1980, dans les bagages de Rifaat al-Assad en exil.

 

En disgrâce, le frère honni s’installe alors en Europe avec famille, milice et employés. Quelque 200 personnes réparties entre l’Espagne, l’Angleterre et la petite commune cossue de Bessancourt, à 27 km au nord de Paris.

Le domaine d’une quarantaine d’hectares fait partie des biens confisqués par la justice dans le cadre du procès " des biens mal acquis ". La justice française l’a condamné, en son absence, à quatre ans de prison et à la confiscation d’un patrimoine évalué à 90 millions d’euros.

" Afin d’éviter son emprisonnement en France (…) le président Assad est passé au-delà de ce qu’a dit et fait Rifaat al-Assad et l’a autorisé à revenir en Syrie ", avait précisé en octobre dernier le journal al-Watan.

Arrivé en Syrie, l’oncle restera à l’écart de la vie politique du pays en guerre.

Un patrimoine de 800 millions d’euros

Rifaat al-Assad, a alors laissé sur le carreau ses anciens employés et une dette de plus de 200000 euros d’électricité au haras Saint-Jacques.

" Maintenant que Rifaat al-Assad voit ses avoirs bloqués ", les familles " se retrouvent sans eau, ni électricité depuis plusieurs mois pour défaut de paiement de la SARL de Rifaat al-Assad ", a détaillé le maire, plaidant pour faire rétablir d’urgence le courant. " A court terme, il s’agit d’un problème de santé publique. Ce sont des familles qui ont des enfants dont certains ne vont plus à l’école. Des personnes sont en situation de handicap ", souligne l’élu.

Ensuite, ajoute-t-il, " il faudra s’interroger sur le sort de ce bien et l’avenir de ces familles venues de Syrie et dont les enfants sont nés en France ".

Dans l’attente d’être fixés sur leur sort, la " débrouille " est désormais le maître mot au sein de la petite communauté syro-bessancourtoise.

Le bienfaiteur du haras est aux abonnés absents et le domaine tombe en ruine, comme en témoignent les trous sur les toitures rafistolées.

Le protecteur a cessé de " transmettre les enveloppes d’argent " pour faire vivre les locataires, glisse anonymement un ancien garde du corps.

Sur plainte des associations Transparency international et Sherpa, la justice française a enquêté dès 2014 sur le colossal patrimoine de Rifaat al-Assad.

Des biens matériels et un patrimoine immobilier de luxe ont été saisis. L’enquête a montré que ces biens étaient détenus par Rifaat Al-Assad et ses proches via des sociétés au Panama ou au Liechtenstein, ensuite transférées au Luxembourg.

L’ancien dirigeant syrien est en outre poursuivi en Suisse pour des crimes de guerre commis dans les années 1980. Il a été aussi jugé en Espagne pour des soupçons plus vastes de " biens mal acquis " portant sur plus de 500 propriétés saisies, pour 691 millions d’euros.

Lors de son procès en France, ses avocats ont insisté sur le fait que Rifaat al-Assad, qui n’avait " aucune richesse " en Syrie part alors " sans un sou " avec sa famille et 200 fidèles. Il amasse en Europe un empire immobilier qui éveillera tardivement les soupçons, évalué aujourd’hui à 800 millions d’euros entre Espagne, France et Grande-Bretagne.

En France, ses biens – hôtels particuliers, château, haras, appartements – sont détenus par des sociétés nichées un temps à Curaçao, Panama ou au Liechtenstein et détenues par ses proches, mais c’est bien lui qui est aux manettes.

Le tribunal va finalement adhérer à la thèse de l’accusation, celle de détournements de fonds publics syriens, et notamment d’un exil négocié avec Hafez al-Assad et financé par Damas.

Invité par Mitterrand

La lutte antiblanchiment était inexistante dans les années 1980 et les investigations en Syrie sont impossibles: 35 ans plus tard, le dossier est mince.

Principal témoin de l’accusation, l’ancien ministre syrien des Affaires étrangères Abdel Halim Khaddam a affirmé que Rifaat al-Assad était " parti avec beaucoup d’argent " donné par Damas: 200 millions de dollars maquillés dans le budget en " frais de la présidence ", 100 autres en " importations libyennes ".

Par ailleurs, le flou règne jusqu’aux raisons de l’installation de Rifaat al-Assad en France après son exil.

" Mitterrand l’a invité. Il a probablement été un intermédiaire dans la libération des otages au Liban. Et peut-être qu’il a permis à la France de vendre des armes à l’Arabie saoudite ", suppose l’enquêteur. " En tout cas, François Mitterrand a vu un intérêt à avoir Rifaat al-Assad en France ". Il sera même décoré de la Légion d’honneur au grade de Grand officier.

Last but not least, loin des tribulations financières, Rifaat al-Assad est poursuivi en Suisse depuis 2013 pour des crimes de guerre commis en Syrie dans les années 80.

Rifaat al-Assad a notamment participé, en tant qu’ancien chef des forces d’élite de la sécurité intérieure, les Brigades de défense, au massacre de Hama en 1982 et de Tadmor (Palmyre) en 1980, perpétré pour réprimer une insurrection islamiste et qui a fait entre 10000 et 40000 morts, selon diverses sources.

Ici Beyrouth, avec AFP

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