Depuis plus de deux ans, il est fréquent d’entendre les Libanais se demander si leur pays atteindra une situation d’effondrement socio-économique généralisé semblable à celui qu’a connu le Venezuela. Afin de pouvoir établir une comparaison entre les cas libanais et vénézuéliens, Ici Beyrouth propose une série d’articles visant à exposer l’histoire récente de ce pays latino-américain et les facteurs conjoncturels qui l’ont conduit à entrer dans la crise. Il s’agira ensuite de dégager les similitudes et les différences entre les deux cas de figure. Ce premier article explique comment l’écroulement du système néolibéral vénézuélien a permis l’implantation d’un modèle politique atypique: le chavisme.

Dans les années 1950, tandis que le Liban était qualifié de " Suisse du Moyen-Orient ", le Venezuela était classé, lui, au quatrième rang des pays en termes de PIB par habitant, après les États-Unis, la Suisse et la Nouvelle-Zélande. Si la manne pétrolière a permis au pays latino-américain d’investir dans des projets pharaoniques d’infrastructures (ponts, barrages, gratte-ciels…), ses profits n’ont bénéficié qu’à une toute petite frange de la population : comme le Liban durant son âge d’or, le Venezuela est devenu ainsi l’un des pays les plus inégalitaires au monde.

En 1988, dix ans après la fin de son premier mandat au cours duquel il avait su mener une politique économique ambitieuse, Carlos Andrés Pérez est triomphalement réélu président du Venezuela, dans un contexte de baisse des prix du pétrole et d’inflation galopante. Aussitôt, trahissant ses promesses de campagne, il applique un plan d’austérité inspiré du "consensus de Washington". Ce corpus de réformes néolibérales est alors de facto imposé aux pays latino-américains par le FMI et la Banque mondiale. Parmi les réformes mises en place, on peut citer la privatisation de la quasi-totalité des entreprises publiques, la libéralisation des taux d’intérêts, l’augmentation des prix des services publics (eau, électricité, gaz, transports…) et de l’essence, la baisse des dépenses publiques, l’élimination des droits de douane à l’importation et le gel des salaires. Ces mesures provoquent un appauvrissement généralisé de la population : en quelques semaines, le taux de pauvreté passe de 44 % à 67 %.

Le 27 février 1989, soit moins d’un mois après le début du mandat de Carlos Andrés Pérez, éclate le Caracazo : incapables de payer leur ticket de bus pour aller à l’université, des milliers d’étudiants descendent dans la rue. Ils sont rejoints par les habitants des quartiers populaires, accablés par l’augmentation des prix et indignés devant le faste des fêtes organisées par un président qui prône la rigueur budgétaire. Ces manifestations et émeutes vont être réprimées dans le sang : en seulement neuf jours, plus de 3000 personnes sont tuées par la police et l’armée. Ce massacre laissera une trace indélébile dans la mémoire collective des Vénézuéliens.

La crédibilité de Carlos Andrés Pérez est largement affectée par cet événement : sa popularité est au plus bas, la population s’enfonce dans la pauvreté et les manifestations se succèdent, ne trouvant d’autres réponses que la répression. En 1992, deux tentatives de coup d’État, la première menée par le lieutenant-colonel Hugo Chávez, achèveront la discréditation du chef de l’État, la population se rangeant du côté des putschistes. Finalement destitué pour corruption en 1993, il est remplacé par un autre ancien président, Rafael Caldera, qui, malgré ses promesses de campagne, appliquera lui aussi une politique néolibérale.

Vers une nouvelle Constitution

En 1998, au bord de la récession, avec un taux de pauvreté atteignant dorénavant les 80 %, les Vénézuéliens, désabusés, élisent avec 56 % des voix au premier tour le militaire et ancien putschiste Hugo Chávez. Celui-ci revendique la mise en place d’un " socialisme du XXIᵉ siècle ", qu’il décrit comme un système politico-économique se voulant différent de celui qui était en place en URSS, avec une planification moins rigide et plus décentralisée et l’édification d’une démocratie participative, respectueuse des droits de l’Homme. Pour y parvenir, il prône la " Révolution bolivarienne ", un processus politique qui se réclame des idéaux de Simón Bolivar, le héros de l’indépendance des Amériques, penseur de l’unité latino-américaine et partisan d’une démocratie libérale imprégnée de l’esprit des Lumières.

Peu après son élection, Hugo Chávez convoque un référendum proposant aux Vénézuéliens la mise en place d’une assemblée constituante, chargée d’élaborer une nouvelle Constitution. Sa proposition est plébiscitée par 92 % des électeurs qui éliront peu après une Assemblée largement dominée par ses partisans. La nouvelle Constitution, ensuite approuvée avec 72 % des voix, se fixe des objectifs ambitieux en inaugurant une importante réforme des institutions : le Sénat est supprimé, la séparation des pouvoirs est accrue, un poste de défenseur public est instauré, le président voit ses prérogatives renforcées, les référendums d’initiative citoyenne permettent aux électeurs d’imposer ou d’abroger des lois ou encore de révoquer des mandats électifs, y compris celui du président… De nouveaux droits sociaux sont également reconnus : l’éducation, y compris supérieure, devient entièrement gratuite, la gratuité et la qualité des soins sont garantis comme droits fondamentaux, de nouvelles dispositions visent à protéger l’environnement ou encore la culture des peuples indigènes…

Après la promulgation de la nouvelle Constitution, Hugo Chávez démissionne et est immédiatement réélu avec 60% des voix au premier tour. Il procède peu après à la mise en place d’une réforme agraire et à la nationalisation du secteur pétrolier, suscitant un important conflit avec la haute-bourgeoisie vénézuélienne qui s’estime injustement spoliée. Pendant plusieurs mois, des grèves éclatent dans plusieurs entreprises, notamment chez le géant pétrolier PDVSA, et conduisent à une importante crise politico-économique début 2002.

Coup d’État manqué

La crise atteint son paroxysme le 11 avril, lorsque plusieurs branches de l’armée tentent un coup d’État, préparé depuis plusieurs mois avec le soutien des États-Unis, mais aussi des médias privés vénézuéliens. Hugo Chávez, désireux d’éviter un bain de sang, se constitue prisonnier, tandis que le président de la principale organisation patronale, Pedro Carmona, s’autoproclame chef de l’État. Mais le 14 avril, d’importantes manifestations populaires et la mobilisation des militaires loyalistes permettent la libération du président élu et sa restauration dans ses fonctions.

Voyant sa légitimité renforcée par l’échec du coup d’État, Hugo Chávez multiplie les réformes sociales, qu’il finance grâce à l’importante augmentation des cours du pétrole durant la première décennie du XXIème siècle. En 2004, l’opposition vénézuélienne parvient à réunir un nombre suffisant de signatures pour organiser un référendum révocatoire contre le président. Celui-ci échoue, 59 % des Vénézuéliens se prononçant contre sa destitution. Hugo Chávez est ensuite réélu en 2006 avec 63 % des voix. Il propose l’année suivante un référendum qui vise à transformer le Venezuela en une République socialiste et à y renforcer tant la démocratie participative que les prérogatives de la présidence.

Pour la première fois, le chef de l’État essuie un revers électoral, le référendum échouant avec moins de 51 % des voix : il reconnait immédiatement sa défaite. Peu après, il se voit diagnostiquer un cancer. Réélu avec 55 % des voix en 2012, il décède le 5 mars 2013. Son vice-président, Nicolás Maduro, est immédiatement nommé président par intérim, avant d’être élu à cette fonction, d’une courte tête, un mois plus tard. Les Vénézuéliens ne se doutent pas encore que dans moins d’un an, ils s’enfonceront dans l’une des pires crises de l’histoire moderne…

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