Un ex-mercenaire de Wagner a accepté de divulguer des informations de première main, un témoignage précieux, car rares sont les soldats de l’organisation paramilitaire qui parlent à visage découvert. En parallèle, le patron du groupe de mercenaires Wagner a indiqué que ses troupes avaient " des choses à apprendre " de l’armée ukrainienne. " 

Des images publiées le 15 janvier par un groupe russe de défense des droits de l’homme, Gulagu.net, qui s’occupe de détenus dans les prisons russes, montrent Andreï Medvedev, un ex-mercenaire présumé du groupe paramilitaire Wagner qui aurait combattu en Ukraine et s’est enfui en Norvège pour y demander l’asile, après avoir franchi illégalement la frontière qui la sépare de la Russie, selon son avocat.

Après s’être enfui en Norvège dans des conditions épiques, un ex-mercenaire de Wagner fait aujourd’hui figure de précieux témoin susceptible d’éclairer de l’intérieur la brutalité du groupe paramilitaire russe en Ukraine et d’alimenter le dossier à charge contre Moscou.

Sous les balles, dit-il, de gardes russes lancés à ses trousses avec des chiens, Andreï Medvedev, 26 ans, a franchi clandestinement la semaine dernière la Pasvik, une rivière actuellement gelée qui marque la frontière russo-norvégienne dans le Grand Nord.

Dans une vidéo diffusée ce week-end par l’ONG Gulagu.net, ce Russe au visage carré et aux cheveux coupés ras assure avoir combattu en Ukraine en tant que chef d’une section d’une dizaine d’hommes au sein de Wagner.

Des images publiées le 14 janvier sur le compte Telegram du service de presse de Concord, une entreprise liée au patron du groupe paramilitaire russe Wagner, Evguéni Prigojine, le montrent déclarant " qu’une discipline féroce donne des opportunités " à Wagner en Ukraine.

Un groupe sulfureux dont il dit avoir déserté quand son contrat de quatre mois a été prorogé contre son gré en novembre.

" C’est un individu intéressant essentiellement en tant que témoin de première main au sein du groupe Wagner (…), y compris dans d’éventuels procès d’après-guerre sur les atrocités commises en Ukraine ", estime Tor Bukkvoll, chercheur à l’Institut norvégien de recherche de la défense.

" Il a probablement été à Bakhmout ", une ville de l’est de l’Ukraine dont les troupes russes tentent de s’emparer depuis des mois, " et il peut raconter des choses de l’intérieur qu’aucun autre n’a pu relater ", explique-t-il à l’AFP.

Le siège de Wagner à Saint-Pétersbourg.

Dans un entretien avec le site internet The Insider en décembre, Alexeï Medvedev dit avoir connaissance de dix exécutions par Wagner de mercenaires refusant de retourner au combat.

Il y précise aussi avoir en sa possession une vidéo montrant la mise à mort de deux d’entre eux et appelée à être rendue publique s’il devait lui arriver malheur.

Lui-même aurait eu sous ses ordres Evguéni Noujine, un homme accusé de s’être rendu aux forces ukrainiennes et tué à coups de masse à son retour dans les rangs russes.

L’AFP n’a pas été en mesure de confirmer de façon indépendante la véracité de ses propos.

John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale US, avait déclaré en décembre 2022 que " dans certains cas, les officiers russes sont en réalité soumis aux ordres de Wagner ". Kirby a assuré que les forces de Wagner " mal équipées et mal entraînées ", souffraient de " lourdes pertes " sur le champ de bataille.

 

Un témoignage direct

Brièvement arrêté à son arrivée en Norvège où il a demandé l’asile, Alexeï Medvedev a été ou devait être entendu par les autorités, aussi bien par celles de l’immigration que par la brigade criminelle (Kripos) qui participe à l’enquête internationale sur les crimes de guerre en Ukraine.

" Il a lui-même dit qu’il a été membre du groupe Wagner et c’est intéressant pour Kripos d’obtenir plus d’informations sur cette période ", a fait valoir la police mardi.

Son avocat norvégien, Brynjulf Risnes, a déclaré à l’AFP que son client était " prêt à parler de son expérience au sein du groupe Wagner aux gens qui enquêtent sur des crimes de guerre ".

Le 12 mai 2022 déjà, un déserteur de Wagner, Marat Gabidullin, 55 ans, était le premier à prendre ouvertement la parole à visage découvert.

Selon lui, le déserteur avait sur lui plusieurs clés USB au moment de sa fuite en Norvège.

" Ce qu’il a à dire est intéressant parce qu’on n’a pas beaucoup de témoignages directs de soldats de Wagner mais deux nuances s’imposent ", décrypte Tor Bukkvoll.

" D’abord, la brutalité de Wagner est notoire depuis longtemps, avant même le conflit en Ukraine, comme en Syrie où le groupe a tué des prisonniers ", remarque le chercheur. " Et Medvedev semble avoir été à un échelon assez bas de l’organisation et il est donc improbable qu’il fasse des révélations sur ce qui se passe aux échelons supérieurs ".

Russie Wagner
Marat Gabidullin a raconté, dans un livre publié en France ( " Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner " , chez Michel Lafon), le quotidien des combattants du groupe Wagner, accusé d’avoir commis des exactions notamment en Afrique. Il critique la " tromperie de la noble cause qui parlait de défendre les intérêts de la Russie ". (AFP)

L’articulation exacte de Wagner, fondé en 2014, avec l’armée russe reste un sujet d’interrogations, de nombreux observateurs disant voir des tensions entre les deux forces sur fond d’ambitions politiques prêtées au dirigeant de ce groupe paramilitaire, l’homme d’affaires Evguéni Prigojine.

Si M. Prigojine a mis en avant le fait que seuls ses hommes avaient combattu dans la localité de Soledar, dans l’est de l’Ukraine, et dont Moscou a revendiqué la conquête, le Kremlin a nié l’existence de quelconques divisions.

Wagner, qui a abondamment recruté dans les prisons russes pour combattre en Ukraine, a ironisé après la défection d’Alexeï Medvedev.

Le dirigeant du groupe Wagner, Evguéni Prigojine et le président russe Vladimir Poutine à Moscou (AFP)

Ce dernier a lui-même été condamné à deux ans avec sursis pour vol et a finalement purgé une partie de la peine après un conflit avec un représentant des autorités, selon son avocat norvégien.

" Il devait être poursuivi pour avoir essayé de violenter des prisonniers ", a commenté M. Prigojine, via son service de presse. " Il était jusqu’ici sur la liste des personnes recherchées. Soyez prudents, il est très dangereux ".

" Des choses à apprendre " 
Des images publiées le 17 janvier sur la chaîne Telegram du service de presse de Concord, une société liée au patron du groupe de mercenaires russes Wagner, le montrent en train de s’adresser à un groupe d’hommes qui reviendraient de combats en Ukraine.

Le patron du groupe de mercenaires Wagner, Evguéni Prigojine, a indiqué que ses troupes avaient " des choses à apprendre " de l’armée ukrainienne, en pleine bataille acharnée pour la prise de Bakhmout dans l’est de l’Ukraine.

" L’armée ukrainienne travaille efficacement, de manière cohérente. On a des choses à apprendre d’eux. Mais dans tous les cas les unités de Wagner vont de l’avant, mètre par mètre ", a-t-il affirmé dans un message publié jeudi par son service de presse.

Il a assuré que " la localité d’Artiomovsk (nom donné par les autorités russes à Bakhmout, NDLR) sera prise ".

Evguéni Prigojine dans le Donbass.

Depuis l’été dernier, les troupes de Wagner et l’armée russe tentent de s’emparer de cette ville de la région de Donetsk (est) ayant un intérêt stratégique contestable mais qui a acquis un grand poids symbolique avec la longueur des combats.

Jeudi, Evguéni Prigojine a aussi affirmé que ses unités s’étaient emparé du village de Klichtchiivka, juste au sud de Bakhmout, et que des " combats féroces " étaient toujours en cours.

La semaine dernière, Wagner avait annoncé la prise de Soledar, au nord-est de Bakhmout, présentée par Moscou comme une étape importante pour encercler cette dernière.

Parallèlement, Evguéni Prigojine continue de dénoncer régulièrement, de façon plus ou moins indirecte, les lacunes du commandement de l’armée régulière russe, qui a essuyé de grands revers lors de son offensive en Ukraine.

Avec AFP