" Un désastre qui dépasse l’entendement " : de l’avis général, le spectacle des immeubles effondrés après le séisme du 6 février à Antioche, en Turquie, est stupéfiant. L’antique cité qui fut, un jour, un important carrefour de civilisations, voire "la couronne de l’Orient", a été rasée à 70 %.  Le séisme a dispersé quatorze siècles d’histoire, traversant les époques grecque, romaine, byzantine, perse, arabe, ottomane et même un court mandat français.

Antioche est "le berceau de nombreux événements historiques", souligne l’auteur d’une monographie sur la ville, mais elle est située au carrefour de trois grandes plaques tectoniques. C’est aussi "un berceau de tremblements de terre" qui n’ont cessé, au fil des siècles, de la détruire et de la remodeler.

Antioche nous est proche de plusieurs façons. Elle fut fondée en 300 avant J.-C.,  à environ 25 kilomètres de la Méditerranée, sur la rive gauche de l’Oronte – alors navigable – qui prend sa source au Liban (le "Assi"). Grâce à cette situation géographique avantageuse, la ville fut rapidement riche et florissante, commerçante et cultivée à la fois.

Particulièrement bien située, à la charnière des voies conduisant vers l’Anatolie, la Mésopotamie et la Judée, "Antioche fut, avec Alexandrie, l’un des deux grands berceaux de la culture grecque au Levant, souligne le Pr Antoine Courban. C’est grâce à elle que s’épanouit la grande époque hellénistique en Orient et que, de la Méditerranée à l’Afghanistan, on parlera grec. Le christianisme a été pensé, écrit et annoncé en grec. Rome même a parlé grec, et de tout cela, Antioche est en partie redevable."

Quand l’empereur romain Pompée conquit la Syrie (64 av. J.-C.), Antioche devint la capitale de la province romaine de Syrie et, loin de s’affaiblir, conserva le surnom de "Couronne de l’Orient". Elle devint la troisième ville de l’Empire, après Rome et Alexandrie, une véritable métropole. Au IVe siècle de notre ère, mélangée d’éléments grecs et syriens, elle comptait environ 300 000 habitants, auxquels il faut ajouter les esclaves, qui était peut-être au nombre de 200 000.

L’Antioche chrétienne

Aujourd’hui, faire escale à Antioche, c’est plonger au cœur du christianisme, au temps de saint Pierre et saint Paul et des premiers chrétiens, et constater que les racines de la civilisation judéo-chrétienne se trouvent aussi dans cette partie du monde. Une communauté de fidèles du Christ s’y développa dès les premières années du christianisme et, selon les Actes des Apôtres (11, 26), c’est à Antioche que les disciples de Jésus reçurent pour la première fois le nom de "chrétiens".

Appelé sur place par Barnabé, Saint Paul y séjourna un an d’abord, pour former la nouvelle communauté qui s’y trouvait et y établir des prêtres, puis en fit sa base, entre deux voyages missionnaires. Dans un premier temps, Pierre le rejoint et devient le premier évêque d’Antioche avant de rejoindre Rome. Ce côtoiement donnera lieu à une querelle théologique entre les deux grands apôtres, relatée par l’Epître aux Galates. A l’arrivée à Antioche de Juifs convertis, venus de Jérusalem, Pierre, qui se conduit librement avec les païens, se dissimula par crainte de leur jugement. La Loi juive lui interdisait, en particulier, de pénétrer dans leurs logements où d’y prendre ses repas.

L’apôtre Paul le reprendra en public et affirmera avec force la nouveauté de la foi chrétienne par rapport à la Loi du Judaïsme. La  rupture du christianisme naissant avec le judaïsme sera en quelque sorte providentielle, avant la destruction de Jérusalem par l’empereur romain Titus en l’an 70.

Cinq patriarcats

Pour des raisons historiques, politiques et religieuses, plusieurs Églises ont vu le jour à Antioche, à des siècles différents. Aujourd’hui, Antioche compte cinq patriarcats : l’Église orthodoxe d’Antioche; l’Église syrienne orthodoxe; l’Église grecque-catholique melkite; l’Église catholique syrienne; et l’Église maronite. Toutefois, aucun ne possède son siège à Antioche-même. Il reste que "les titres que portent les cinq patriarches orientaux, qui s’affirment comme patriarches d’Antioche et de tout l’Orient, gardent la mémoire de cette grande époque que vécut cette immense et prestigieuse division  administrative que fut le diocèse civil d’Orient de l’empire grec" , précise le Pr Courban.

Pour sa part, le P. Georges Hobeika, ancien recteur de l’USEK et supérieur en second de l’ordre libanais maronite, relève que sur deux plans au moins, l’habitude de la diversité et la défense des droits humains, l’Eglise maronite est la continuatrice d’Antioche. Dans l’ancienne métropole romaine, en effet, on parlait couramment deux langues, le grec et le syriaque, un dialecte araméen, et sous l’effet de la théologie de l’incarnation telle que définie par le Concile de Chalcédoine (451), qui a affirmé que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu, l’Eglise maronite se sensibilisa à la défense des droits de l’homme, en lui donnant un substrat théologique.

En l’honneur de ces liens multiséculaires avec la ville d’Antioche, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, effectua une visite à la grande aînée en 2012, et célébra une messe sur l’autel de saint Pierre dans une minuscule église creusée dans la roche, vestige d’un temps de persécution.

Saint Maron gloire d’Antioche

Parmi les gloires d’Antioche, il faut compter saint Maron, père de l’Eglise maronite, à laquelle il a donné son nom.  Né dans la région de Homs, l’anachorète s’était construit une petite hutte à côté d’un temple païen abandonné, mais en fait il passait presque tout son temps en plein air, s’exposant volontairement à toutes les intempéries. Après sa mort, un monastère s’éleva sur son tombeau et " Mar Maroun " devint un grand lieu de pèlerinage. Les occupants du monastère furent appelés " ceux de Maroun ", ou maronites. Ils conservèrent ce nom quand, pour fuir les armées venues de la péninsule arabique, ils se réfugièrent dans les montagnes du Liban.

On peut citer aussi, parmi les gloires de cette cité, le grand saint Ignace d’Antioche, deuxième évêque après saint Pierre, le rhéteur Libanios, qui occupa une place de premier plan dans la littérature grecque du IVe siècle, et qui fut un grand défenseur de l’hellénisme, comme saint Dorothée ou l’historien Théodoret de Cyr, mais on leur préférera, faute de place, sainte Marguerite d’Antioche, morte en martyre. Cette sainte fut en effet, avec saint Michel et Catherine d’Alexandrie, l’une des trois "voix" qui conduisirent Jeanne d’Arc dans sa lutte victorieuse pour "bouter les Anglais" hors de France.

L’importance religieuse d’Antioche diminua progressivement avec la montée de Constantinople et l’émergence de Jérusalem en tant que patriarcat. Aujourd’hui, elle pleure ses morts et ses monuments pulvérisés.

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