Interview décryptage avec Jérôme Drevon, de l’International Crisis Group       

 

 

 

 

 

Les talibans ne doivent la destruction de leur premier État en 2001 qu’à une seule raison : leur refus de livrer Ben Laden et les responsables d’Al Qaïda, qui, dans leur asile afghan, avaient pensé le 11 septembre. Les liens des talibans avec la nébuleuse terroriste, mais aussi avec d’autres groupes jihadistes transnationaux, est la cause majeure de l’anxiété universelle née de leur prise de pouvoir fin août, saluée par contre avec empressement par le numéro un d’Al Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Analyste senior sur le jihad et les conflits modernes à l’International Crisis Group, Jérôme Drevon décrypte les relations des talibans avec ses sulfureux alliés, 20 ans après le 11 septembre.

 

Qu’en est-il des relations actuelles des talibans avec leur ancien allié, ennemi juré des Etats-Unis, Al Qaïda?

Il y a eu des relations stratégiques, organisationnelles et personnelles entre les talibans et Al Qaïda avant le 11 septembre, ce qui ne veut pas dire que les relations étaient parfaites entre les deux mouvements : les opérations à l’étranger d’Al Qaïda ont mécontenté les talibans, conscients de la menace qu’elles faisaient peser sur eux et ils ont essayé de les restreindre avant 2001. Mais Al Qaïda a refusé de se soumettre et ils y ont laissé leur premier émirat. Toutefois, les relations se sont maintenues ces deux dernières décennies, Al Qaïda ayant eu un certain nombre d’hommes qui se sont entremêlés avec les combattants talibans dans le cadre de l’insurrection Ce n’est pas une participation massive, on parle de 1000 à 2000 combattants au maximum. Ces relations existent bien et le commandement d’Al Qaïda donne son allégeance à l’émirat taliban. Mais le chef suprême actuel des talibans ne l’a pas reconnue officiellement et le mouvement entretient une ambiguïté sur ce point.

 

Est-ce la branche locale d’Al Qaïda qui a fait allégeance ou la centrale basée au Pakistan et dirigée par Ayman al-Zawahiri ?

Al Qaïda en Afghanistan est géré par Al Qaïda centrale qui a fait cette allégeance. Il y a donc un schéma pyramidal où toutes les organisations affiliées dans le monde donnent leur allégeance à Zawahiri qui la donne officiellement aux talibans. Ambiguïté inverse, Zawahiri a applaudi la victoire du jihad mais sans faire référence à la promesse faite par les talibans, dans le cadre de l’accord avec les Etats-Unis, qu’aucun groupe ne menacerait la sécurité de ces derniers et de leurs alliés à partir de l’Afghanistan.

 

Comment s’organisent les rapports entre les deux mouvements à l’heure actuelle?

La question que tout le monde se pose : dans quelle mesure les talibans peuvent-ils les restreindre et empêcher des opérations externes? Elles ne seraient pas du tout dans leur intérêt alors qu’ils sont dans une phase de consolidation de leur pouvoir et ils ne veulent pas répéter les mêmes erreurs qui mèneraient aux mêmes résultats. Je penche vers cette option mais des observateurs plus alarmistes y voient une protection pour Al Qaïda qui lui permet de se regrouper pour à terme planifier de nouvelles opérations externes. Des rapports américains notent qu’il y en a la possibilité dans les 2-3 ans mais ce sont des spéculations.

 

Les buts d’Al Qaïda n’ont pas changé depuis 2001 et si les talibans ne parvenaient pas à contrôler ses actes à l’époque, comment y arriveraient-ils mieux?

Al Qaïda n’est plus dans la même situation : la plupart de ses branches sont devenues très locales et leurs objectifs aussi. Des gens proches d’Al Qaïda en Afghanistan disent qu’eux non plus ne veulent pas répéter les erreurs du passé et il faut rappeler qu’il y a des groupes affiliés dans d’autres pays qui peuvent mener leurs propres opérations extérieures.

 

L’argument sacré de l’asile invoqué en 2001 pour ne pas livrer Ben Laden ne tient-il plus? Les talibans accepteraient  plus qu’hier d’arrêter et extrader des terroristes? En ont-ils les moyens?

 Les talibans sont beaucoup plus puissants qu’ils ne l’étaient en 2001. Ils ont un État qui a beaucoup plus de ressources et de moyens militaires, les pressions pour établir une gouvernance viable et stable en Afghanistan sont beaucoup plus fortes. Plus faibles, les talibans avant le 11 septembre avaient soit besoin d’Al Qaïda, soit n’avaient pas la capacité de les contrôler militairement, ce qui n’est plus le cas.

 

Les talibans comptent aujourd’hui aussi à leur côté des membres de groupes armés islamistes de pays voisins, notamment ouzbeks et ouïghours que ces voisins tiennent pour terroristes. Les talibans jugulent-ils aussi cette menace transnationale?

 Ils constituent un des principaux acteurs transnationaux qui, je pense, partage avec les talibans l’intérêt à consolider le nouveau régime à l’intérieur des frontières. Le groupe ouïghour est séparé en deux : une partie en Afghanistan, l’autre en Syrie où ils sont aussi en train de prendre leurs distances avec le transnationalisme. Par ailleurs, en Afghanistan les talibans ne peuvent plus se permettre que de tels groupes menacent l’ordre régional, ayant beaucoup trop besoin des puissances voisines.

 

Les Iraniens ont, eux, exprimé leurs craintes de complicité avec les séparatistes du Baloutchistan…

Tous les pays régionaux ont certaines réserves par rapport aux groupes présents en Afghanistan, il y a une vraie emphase régionale au-delà de ce que les Occidentaux veulent et attendent. Les Pakistanais ont aussi leurs craintes par rapport au mouvement taliban pakistanais et utilisent les talibans de Kaboul pour négocier un cessez-le-feu dans leurs régions tribales, ce qui semble se consolider à l’heure actuelle.

 

On a entendu dans des reportages des talibans louer le jihadisme international, parfois même les auteurs des tueries de Paris en 2015. Comment pourraient-ils réprimer ceux qu’ils voient comme leurs frères d’armes?

Il peut y avoir cette sympathie parmi une partie des talibans, mais le leadership qui a une vision politique beaucoup développée sur ces sujets, est fermement au contrôle. Il n’y a pas de remise en question  par les soldats des ordres politiques du mouvement. Une question qui s’est posée lors de l’arrivée des talibans au pouvoir, et un des consensus, c’est qu’ils sont beaucoup plus concentrés sur leur cohésion interne pour éviter que des personnes ne les quittent pour rejoindre par exemple l’Etat islamique au Khorassan (EIK).

 

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