Alors que le Royaume-Uni annonçait la livraison prochaine à l’Ukraine de munitions contenant de l’uranium appauvri, la Russie a vivement réagi en dénonçant une " aggravation sérieuse " du conflit, menaçant de " répliquer ". N’ayant pas les capacités matérielles pour faire face à ses armes, Moscou a choisi de relancer la controverse concernant leur toxicité pour hausser le ton. 

Si la résistance ukrainienne a pu contenir, et même refouler dans certains cas, l’invasion russe, c’est grâce à l’apport de la technologie occidentale et à la quantité d’armes fournies par l’Occident.

L’armée russe dispose de véhicules équipés d’un blindage plus classique, alors que leurs chars plus " modernes ", pour la plupart datant de l’époque de l’URSS, sont peu nombreux.

En face, les armées occidentales disposent de blindages " en sandwich ", certains sont appelés composites, car ils comportent plusieurs couches de matériaux divers: à côté de l’acier, on trouve de la céramique (contre la chaleur extrême des explosions), de l’uranium appauvri (UA, un métal extrêmement dur), ou plus rarement des alliages contenant du titane, du tungstène ou du magnésium.

L’uranium appauvri n’est pas uniquement utilisé pour le blindage. La plupart des missiles antichar contiennent ce matériau ayant une capacité de perforation phénoménale.

Des dizaines de milliers de blindés russes ont été détruits par les armes antichars fournies par les Américains (comme le missile Javelin) ou les missiles anglo-suédois NLAW. Ces armes onéreuses (240.000$ par missile) et ultra-sophistiquées (équipées d’électronique de pointe) sont derrière les pertes des chars de conception soviétique.

Cette supériorité technologique est à l’origine de l’hécatombe de blindés russes. Ceci va évidemment alarmer les militaires russes, qui vont hausser le ton pour dissuader les Occidentaux de fournir à l’Ukraine des munitions à l’uranium appauvri.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a prévenu que l’utilisation de ce genre de munition serait " un pas en direction d’une aggravation supplémentaire, une aggravation sérieuse " du conflit. Le ministre a évoqué une controverse concernant la toxicité de l’UA et sa prétendue radioactivité pour alerter l’opinion publique et créer un effet de panique.

L’utilisation de l’UA " réduira drastiquement, voire détruira ", la capacité de l’Ukraine à " produire de la nourriture non contaminée ", a affirmé M. Lavrov.

Naturellement, les Américains vont réagir, par le biais du porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby. Il a estimé mercredi que les arguments russes étaient " fallacieux ". " C’est un type de munitions commun, utilisé particulièrement pour sa capacité de perforation des blindages ", a ajouté Kirby, assurant que ces obus " ne sont pas radioactifs " et " ne s’approchent même pas " de la catégorie des armements nucléaires.

Un obus antichar peut être tiré d’un canon antichar, du canon d’un char ou d’un autre véhicule. À la différence d’un obus ordinaire, il comporte seulement une " flèche " en alliage très dur (tungstène, titane, uranium appauvri) enveloppée d’un " sabot ". Celui-ci se détache de la flèche juste avant l’impact pour offrir une célérité supplémentaire au projectile. La flèche atteint la cible à une vitesse très élevée et force le blindage, si celui-ci  est fait en acier ou un autre métal moins lourd. De plus, l’UA s’enflamme au contact du blindage. Ceci augmente davantage sa puissance de perforation.  (Photo: Sputnik, copié de US Army et GlobalSecurity.org)

Même son de cloche chez le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, qui a déclaré que " ce qui est dangereux, c’est la guerre, qui fait des milliers de morts ".  " La chose la plus importante qui puisse être faite pour réduire les risques est que le président (Vladimir) Poutine arrête la guerre ", a-t-il ajouté au cours du lancement opérationnel d’une nouvelle flotte d’avions ravitailleurs Otan-UE sur une base aérienne néerlandaise.

Cette polémique est due au fait que ce type de munition est une arme très efficace pour percer les blindages, mais son usage est controversé en raison des risques de toxicité pour les militaires et les populations des zones visées.

Pourquoi utiliser de l’uranium appauvri ?

L’uranium appauvri (de l’anglais depleted uranium) est un produit dérivé du processus d’enrichissement de l’uranium. Un genre de " résidu " environ 60% moins radioactif que l’uranium naturel.

L’uranium est un métal extrêmement dense: il l’est 1,7 fois plus que le plomb. Pour avoir une idée plus claire, il faut s’imaginer portant un accumulateur d’automobile 1,7 fois plus lourd que l’accu ordinaire, qui est lui-même assez lourd à cause de la quantité de plomb qu’il renferme. Il est tellement dur qu’il ne se déforme pas quand il entre en contact avec sa cible.

L’uranium appauvri est ainsi utilisé dans les obus perforants et les bombes pour les rendre plus pénétrants.

Le recours à de telles munitions n’est pas interdit par le droit international, qui prohibe les mines antipersonnel ou les bombes à fragmentation utilisées, pour l’exemple, en grande quantité par l’armée israélienne au Liban, ou par l’armée russe lors de la guerre civile syrienne.

Où ont-elles déjà été employées ?

Ces munitions sont en dotation dans de nombreuses armées, notamment américaine et russe. Elles ont été employées lors deux guerres du Golfe de 1991 et 2003 ainsi qu’en ex-Yougoslavie pendant les années 1990 (Bosnie et Kosovo).

Le Pentagone a en outre reconnu s’être servi d’obus contenant de l’uranium appauvri à deux reprises en 2015 dans des opérations contre Daech en Syrie.

Qu’en est-il du risque sanitaire et environnemental ?
Un projectile anti-blindage sans sa douille. On remarque la " flèche " en métal très solide, comme l’UA, entourée en son centre du " sabot " qui s’en sépare lors de sa course. (AFP)

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’uranium appauvri est un " métal lourd, chimiquement et radiologiquement polluant ". Les obus perforants atteignant leur cible produisent une poussière d’uranium ainsi que des fragments de métal.

Sur le plan de la santé, " le principal risque " que qu’entraîne l’uranium appauvri " n’est pas la radioactivité, mais bien la toxicité chimique. L’ingestion ou l’inhalation de grandes quantités peut nuire au fonctionnement des reins.

Si une personne inhale de grandes quantités de petites particules pendant une longue période, la principale préoccupation pour la santé sera l’augmentation du risque de cancer du poumon ", souligne la commission canadienne de sûreté nucléaire.

Les munitions à uranium appauvri ont notamment été citées comme l’une des causes possibles des problèmes de santé d’anciens combattants de la guerre du Golfe ou encore du nombre élevé de cancers ou encore de malformations congénitales dans la ville irakienne de Falloujah. Toutefois, leur rôle n’a pas été scientifiquement prouvé.

Le " spray " d’UA qui résulte de l’impact d’une munition et le reste du métal constitue à l’instant même un risque de toxicité élevé.

De même, la manipulation ou l’inhalation des déchets métalliques abandonnés sur le lieu de l’explosion est hautement contaminante. Après les guerres du Kosovo, de Bosnie, et les deux guerres du Golfe, certains soldats américains ont développé des maladies, connues sous le nom de ‘syndrome du Golfe ", dues en partie à l’exposition à l’UA sur les champs de bataille.

Toutefois, de nombreuses études ont conclu à l’absence de preuves établissant la nocivité de l’uranium appauvri, mais ces résultats restent contestés.

Le centre de Falloujjah dans le viseur électronique d’un aéronef américain (Hélicoptère Apache ou avion A-10 Thunderbolt). (AFP)

Selon les études auxquelles l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a été associée, " le risque radiologique auquel étaient exposés les populations et l’environnement n’était pas important dans les cas où la présence d’uranium appauvri avait provoqué une contamination localisée de l’environnement sous forme de petites particules libérées au moment de l’impact ", souligne le bureau des affaires de désarmement de l’ONU.

En revanche, " lorsque des fragments de munitions à uranium appauvri ou des munitions complètes de ce type sont découverts, les personnes qui entrent en contact direct avec ces objets pourraient subir les effets des rayonnements ", concluent les Nations unies.

Georges Haddad, avec AFP