Dans une rare unanimité en ces temps de tensions et d’incertitudes, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont déclaré lundi qu' "une guerre nucléaire ne pouvait être gagnée ", reprenant un constat de Moscou et Washington pendant la guerre froide.

Avant la 10e conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération (TNP), prévue en janvier, mais reportée à une date ultérieure pour cause de pandémie, les cinq puissances (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni et France, ou P5) ont tenté de rassurer la planète sur la perspective d’un affrontement à l’évidence cataclysmique.En pleine négociation avec l’Iran, soupçonné de vouloir se doter de la bombe atomique, elles soulignent leur volonté de progresser " en matière de désarmement, avec pour objectif ultime un monde exempt d’armes nucléaires ", selon un communiqué de la présidence française qui coordonne les travaux de ces pays.

Les signataires promettent de renforcer leurs mesures pour " empêcher l’utilisation non autorisée ou non intentionnelle d’armes nucléaires ", poursuit le texte, à une semaine d’une négociation russo-américaine à Genève sur les traités de contrôle de l’armement nucléaire et la situation à la frontière russo-ukrainienne.

Surtout, " nous affirmons qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ", affirme le P5, martelant que ces armes " tant qu’elles existent, doivent servir à des fins défensives, de dissuasion et de prévention de la guerre ".

Ce concept de guerre nucléaire ingagnable avait été évoqué en 1985 à Genève par les chefs d’Etat russes Mikhail Gorbatchev et américain Ronald Reagan. Mais " il n’avait jamais été repris " à son compte par le P5, souligne Marc Finaud, expert en prolifération au Centre Politique de Sécurité de Genève (GCSP).

" Ils ont accepté la reprise de cette doctrine " que de nombreux pays et sociétés civiles réclament, a-t-il ajouté à l’AFP, avec " cette volonté de dire au monde que toutes ces inquiétudes sur le risque de guerre nucléaire sont infondées ".

De fait, les déclarations se sont multipliées récemment sur le caractère volatile de la géopolitique mondiale, entre tensions sino-américaines sur Taïwan et l’Indopacifique, bruits de bottes en Ukraine, crises multiples au Proche et Moyen-Orient et conséquences désastreuses du Covid-19.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres avait lui même tiré la sonnette d’alarme en décembre dans une tribune.

" Compte tenu du stockage de plus de 13.000 armes nucléaires dans les arsenaux du monde entier, combien de temps notre chance peut-elle durer ? ", s’interrogeait-il. " Il suffirait d’un malentendu ou d’une erreur d’appréciation pour entraîner non seulement la souffrance et la mort à une échelle effroyable, mais aussi la fin de toute vie sur Terre ".

Le TNP, entré en vigueur en 1970 afin d’empêcher la propagation des armes nucléaires, compte 191 Etats parties. Les cinq signataires de lundi sont les cinq Etats juridiquement reconnus par le traité comme " dotés de l’arme nucléaire ". Trois autres pays considérés comme détenteurs – Inde, Pakistan et Israël – sont non-signataires. La Corée du Nord a pour sa part dénoncé le TNP.

Ces déclarations interviennent aussi alors que des négociations ont repris à Vienne pour relancer l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien (JCPOA), devenu moribond après le retrait des Etats-Unis en 2018.

Lundi, Moscou s’est félicitée d’une déclaration qui " contribuerait à réduire le niveau des tensions internationales ", selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères. Le texte " contribuera à accroître la confiance mutuelle et à remplacer la concurrence entre les grandes puissances par la coordination et la coopération ", a indiqué de son côté l’agence de presse officielle Chine Nouvelle, citant le vice-ministre des affaires étrangères Ma Zhaoxu.

Interrogée par l’AFP, la Campagne internationale pour abolir l’arme nucléaire (ICAN), prix Nobel de la paix en 2017, a salué une déclaration " positive ". Mais " le fait que tous modernisent et renouvellent dans le même temps leurs arsenaux vient totalement la remettre en cause ", a estimé Jean-Marie Collin, porte-parole d’ICAN France.

Paradoxalement, cette déclaration rappelle aussi que les signataires n’entendent nullement renoncer à leur arsenal, relève Emmanuelle Maître, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

" C’est une déclaration de nature politique, pour montrer que malgré les désaccords, les tensions, la modernisation des arsenaux, il y a quand même une forme de responsabilité du P5 ", estime-t-elle. " L’objectif est de retirer un peu de poids " à l’argument selon lequel " toute arme nucléaire fait peser un danger manifeste sur la planète ".

AFP

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