Au cœur de plusieurs crises diplomatiques, le dirigeant russe Vladimir Poutine espère plus que jamais une victoire électorale dimanche pour son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. Ne serait-ce que pour la position accommodante d’Ankara sur des dossiers divers comme la Syrie, l’Ukraine ou l’Otan.

De l’Ukraine à la Syrie, en passant par l’élargissement de l’Otan et l’exportation des hydrocarbures russes, l’issue du scrutin en Turquie aura des implications pour un large éventail de dossiers primordiaux pour Moscou.

Malgré la rivalité historique entre la Russie et la Turquie, Erdogan et Poutine avaient noué une solide relation personnelle. Un lien devenu d’autant plus important pour une Russie isolée de l’Occident à cause du conflit en Ukraine.

Pour M. Poutine, M. Erdogan est " un cas à part ", car il est " possible de s’accorder avec lui sur de nombreux sujets ", déclare à l’AFP Fiodor Loukianov, politologue proche des cercles du pouvoir russe. " La relation personnelle ancienne entre les deux présidents y contribue grandement, ils se comprennent bien ", ajoute-t-il.

Poutine et Erdogan " sont des hommes d’Etat qui respectent la parole donnée ", a affirmé cette semaine le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, interrogé sur les raisons de l’entente entre les deux dirigeants.

Faisant mentir les nombreux sondages le plaçant derrière son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, M. Erdogan est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle mi-mai et est donné favori du second tour, pour le plus grand bonheur de Poutine.

Par contraste, M. Kiliçdaroglu a provoqué la sidération de Moscou en l’accusant début mai d’ingérence dans la campagne électorale, ce que le Kremlin a nié.

La loyauté personnelle

Une victoire de M. Kiliçdaroglu ferait peser un " risque " sur l’avenir des relations entre Ankara et Moscou, estime M. Loukianov.

Il cite notamment un possible réchauffement des relations entre la Turquie et ses alliés de l’Otan, qui se sont tendues, notamment depuis l’achat par Ankara de systèmes antiaériens russes S-400 sous M. Erdogan.

Si le Kremlin se défend de prendre parti, les signaux ne trompent pas.

Le mois dernier, lors de l’inauguration par visioconférence d’une centrale nucléaire bâtie par Moscou en Turquie en pleine campagne électorale, M. Poutine couvre son homologue turc d’éloges, saluant tout ce qu’il " a fait pour son pays ".

" Poutine est connu pour sa loyauté personnelle (…) envers ceux qui se comportent de manière réciproque envers lui et la Russie ", souligne M. Loukianov.

Les relations n’ont pas toujours été au beau fixe. En 2015, lorsque Ankara abat un bombardier russe au-dessus de la frontière turco-syrienne, M. Poutine dénonce un " coup de poignard dans le dos ".

Mais, moins d’un an plus tard, alors que M. Erdogan vient de réchapper à une tentative de putsch, M. Poutine est le premier dirigeant à lui téléphoner pour exprimer son soutien.

Les deux hommes coopèrent désormais étroitement sur plusieurs dossiers, comme la Syrie.

Partenaires, mais pas amis

Le rapprochement entre ces deux dirigeants autoritaires a également été favorisé par leurs tensions croissantes avec l’Occident.

" Ils sont incroyablement semblables par leur mentalité politique, leur style et leur rapport au monde extérieur ", comme leur " mépris sincère pour les valeurs libérales de l’Occident ", note Arkadi Doubnov, un politologue russe indépendant.

Pour M. Poutine, cette relation avec M. Erdogan est d’autant plus précieuse aujourd’hui qu’il est très isolé depuis son offensive contre l’Ukraine.

Pour Moscou, souligne M. Loukianov, il y a aussi ce " besoin aigu d’avoir des relations prévisibles " avec Ankara.

Même si la Turquie livre des drones à Kiev, elle a refusé de s’associer aux sanctions contre Moscou, ce qui lui permet de revendiquer un rôle d’intermédiaire, comme dans l’accord qui permet l’exportation des céréales ukrainiennes.

Ankara profite aussi de l’isolement de Moscou en captant des investissements et en achetant du gaz à prix cassé. La Russie en profite en gardant une porte ouverte pour ses importations compliquées par les sanctions.

" Il n’y a pas de " bromance " entre Erdogan et Poutine, c’est de la transaction pure ", estime le diplomate occidental. " Ils arrivent très bien à cloisonner: les différends sont mis de côté et ils travaillent là où leurs intérêts convergent ".

Maïssa Ben Fares, avec AFP