La situation au Soudan continue de se détériorer malgré les tentatives de négociation et de médiation menées par l’Arabie saoudite et les États-Unis. Quels sont les facteurs qui contribuent à l’échec récurrent des trêves négociées? Quelles conséquences pour le pays?

Le Soudan est plongé dans une crise humanitaire critique, mettant en péril la vie de millions de personnes. Près d’un millier de victimes civiles et plus d’un million et demi de déplacés depuis le 15 avril dernier, date du début du conflit.

Les combats deviennent de plus en plus violents, avec l’utilisation croissante d’armes lourdes qui exacerbent les souffrances des populations civiles.

 Tout oppose les deux dirigeants militaires, qui se disputent le leadership du pays: le général Abdel Fattah al-Burhane (gauche) qui détient le pouvoir et Mohamed Hamdane Daglo, patron des " Forces de Soutien Rapide ". (AFP)

Les trêves négociées ont été marquées par une série d’échecs déconcertants. Dès les premières heures des combats, la première tentative de trêve a été mise à mal par les parties en conflit, reflétant ainsi les profondes divisions et le manque de volonté de parvenir à un accord pacifique.

Malgré les efforts répétés de médiation, notamment saoudo-américains, aucune des six trêves n’a réussi. La seule exception (plus ou moins) fut la trêve temporaire imposée par la communauté internationale dans le but d’évacuer en urgence ses ressortissants.

Les pourparlers de Jeddah du 12 mai dernier, sous l’égide de Ryad et de Washington, en présence du ministre des Affaires étrangères du Soudan du Sud, représentaient la tentative la plus notable de parvenir à une trêve durable. Ces négociations avaient abouti à un accord de cessez-le-feu de sept jours.

Cependant, dès les premières heures suivant la signature de l’accord, certaines chaînes télévisées et des journalistes sur place reportaient déjà la reprise des combats violents, notamment à Khartoum.

Face à cette violation, les États-Unis ont pris la décision de mettre en place des sanctions appliquées de manière équitable aux deux parties en conflit. Cette mesure visait à souligner la gravité de ces actes et à promouvoir la responsabilité de toutes les parties impliquées dans la recherche d’une solution pacifique et durable au conflit.

Les hostilités se sont étendues aux quatre coins du pays, avec des implications majeures, notamment au Darfour. Cette région est devenue, depuis les années 1990, un foyer de tensions incessantes, où des conflits interethniques et des revendications territoriales ont ravivé les flammes de la violence.

Les racines de cette crise remontent aux tensions historiques entre les populations arabes et non-arabes du Darfour, exacerbées par des facteurs tels que la marginalisation économique, la rivalité pour l’accès aux terres et aux ressources, ainsi que des questions de représentation politique et de pouvoir.

Parallèlement, le conflit en cours au Soudan ne peut pas être isolé des pays voisins, en particulier la Libye limitrophe. La région frontalière entre les deux pays souffre d’un manque de contrôle gouvernemental, ce qui permet une libre circulation à travers le pays.

En effet, des groupes armés du Soudan et du Tchad ont pu exploiter le vide dans la vaste région du sud de la Libye et y établir une présence solide. Les groupes militaires tchadiens ont utilisé le sud de la Libye pour mener des attaques contre leur gouvernement, et les groupes soudanais ont historiquement fait de même.

Le principal groupe armé soudanais ayant une forte présence militaire dans le sud de la Libye est constitué par les Janjawid et provient des tribus arabes de la région occidentale du Darfour au Soudan. Ce groupe a donné naissance aux Forces de soutien rapide (FSR) sous le commandement d’un des belligérants du conflit soudanais, Mohamed Hamdane Daglo, également connu sous le nom de Hemedti.

Les forces des Janjawid ont été recrutées pour combattre aux côtés des troupes du général Khalifa Haftar en Libye depuis le début de sa campagne militaire en 2014 dans le but de prendre le contrôle du pays par la force. Certaines sources concordantes affirment que les Émirats arabes unis avaient coordonné avec Hemedti pour l’envoi de ses mercenaires prêter main forte aux troupes de Haftar.

D’ailleurs, le chef des FSR a bénéficié financièrement de l’envoi de combattants à Haftar, ainsi que des accords qu’il a conclus avec les Émirats arabes unis au Yémen, pour l’envoi d’un contingent de 40.000 hommes afin de renforcer la coalition arabe.

D’ailleurs, le 19 avril, le Wall Street Journal a corroboré ces préoccupations en déclarant détenir des informations selon lesquelles Khalifa Haftar, qui exerce le contrôle sur l’est de la Libye, aurait dépêché "au moins un avion pour acheminer des fournitures militaires aux FSR", armements possiblement envoyés par les Émirats.

Abou Dhabi cherche surtout à combattre l’influence des Frères musulmans dans la région, notamment dans l’entourage de l’ex-dictateur Omar Al Bashir, actuellement proches du général Burhane.

Les EAU, principaux investisseurs parmi les pays du Golfe, cherchent par ailleurs à étendre leur influence en exploitant les réseaux du clan Hemedti. Cette démarche s’explique par le fait que le Soudan, en plus d’être le troisième plus grand producteur d’or d’Afrique, est doté de riches gisements de minéraux et d’un potentiel agricole considérable.

Premier exportateur de gomme arabique, un produit hautement prisé dans l’industrie agroalimentaire, le pays joue également un rôle central dans l’exportation de bétail dans la région.

L’Égypte de Abdel Fattah el-Sissi a, elle, choisi le camp des Forces armées soudanaises (FAS) du général Burhane. En effet, l’Égypte a largement approvisionné l’armée soudanaise en équipements ces dernières années.

Cette coopération s’inscrit dans le contexte de l’opposition de l’Égypte à la construction de l’immense barrage éthiopien sur le Nil qui suscite des inquiétudes quant à l’approvisionnement en eau de l’Égypte et du Soudan.

En outre, n’oubliez pas le double jeu russe. D’une part, le groupe de mercenaires Wagner a envoyé des milliers de combattants en Libye pour soutenir Haftar et en contrôlant des installations pétrolières et des bases militaires dans l’est et le sud du pays, s’est directement engagé auprès de Hemedti dans les combats.

D’autre part, le gouvernement russe garde des relations chaleureuses avec le commandant des FAS.

Le Soudan du Sud, enfin, est devenu une victime collatérale du conflit. Le pays dépend des oléoducs et des gazoducs qui transitent par le Soudan pour exporter sa production pétrolière et gazière qui constitue le principal pilier de son économie.

Or, le transport des hydrocarbures Sud-Soudanais est devenu risqué, exposant le pays à des menaces économiques croissantes. En conséquence, le pays est sûrement amené à s’impliquer directement dans le conflit afin de défendre ses intérêts.

Le conflit soudanais fait courir au pays le risque d’un éclatement en plusieurs entités distinctes. Cette perspective soulève la question de la viabilité d’un Soudan unifié dans le contexte des défis auxquels il est confronté.

On parle de la formation de trois États indépendants. Tout d’abord, à l’Est, un État longeant la mer Rouge. A l’Ouest, la vaste région du Darfour, connue pour ses velléités indépendantistes et ses riches mines d’or. Enfin, au centre, un troisième État qui se verrait privé des ressources pétrolières du Sud et de l’Ouest ainsi que de tout accès maritime à l’Est.

Ce risque de fragmentation du Soudan risque de croitre en l’absence d’une solution durable du conflit, et alors que les parties concernées peinent à respecter ne serait-ce qu’une simple trêve humanitaire.