L’impact des activités humaines sur la biosphère amène la communauté scientifique à faire un constat, celui de l’entrée du vivant dans une nouvelle ère écologique: l’Anthropocène. L’incertitude qui marque cette période, notamment face aux conséquences du changement climatique, ne doit pourtant pas faire perdre espoir aux nouvelles générations, selon certains experts.

Ses lointains ancêtres ont pagayé à travers l’océan Pacifique pour fonder ce qui est devenu la nation insulaire de Tuvalu, mais Grace Malie et sa génération pourraient voir ces îles englouties par la mer. Une triste illustration de l’Anthropocène, une proposition de nouvelle époque géologique marquée par l’humanité.

Face à un monde qui se réchauffe et qui pourrait faire disparaître sa maison pour toujours, il serait facile de penser que nous n’avons " pas d’avenir ", souligne Mme Malie.

Mais la jeune militante de 24 ans déclare vouloir " garder espoir ", car sa " génération prend les choses en main " pour tenter d’inverser la tendance.

" Il y a peut-être des solutions, des choses auxquelles nous n’avons jamais pensé, des idées novatrices ", espère celle qui au travers de la Rising Nations Initiative, un partenariat mondial lancé par les nations des atolls du Pacifique pour préserver leur souveraineté et leur patrimoine, s’efforce de partager l’histoire de sa communauté.

Mais n’est-il pas déjà trop tard ?

De nombreux experts estiment que c’est encore possible, même si les signaux ne sont pas rassurants.

Prélèvement de sédiments dans les fonds du lac Crawford. Le 11 juillet 2023, le groupe de travail sur l’Anthropocène de la Commission internationale de stratigraphie a désigné le lac comme l’incarnation de l’époque Anthropocène proposée. (Photo Peter POWER / AFP)

L’an dernier, le Rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a averti que les populations du monde entier étaient confrontées à une véritable tempête d’incertitudes, liées aux " pressions planétaires déstabilisatrices et aux inégalités de l’Anthropocène ".

Les combustibles fossiles qui ont alimenté la révolution industrielle et la prospérité ont déjà réchauffé la planète de 1,2°C, déclenchant des conditions météorologiques extrêmes et de multiples bouleversements, illustrés par la semaine dernière, la plus chaude jamais enregistrée en moyenne sur Terre.

Contrer le défaitisme

Face à cela, Pedro Conceicao, chargé du rapport du PNUD, craint que le sentiment " d’apocalypse " ne viennent freiner la moindre velléité de faire changer les choses.

Mais l’humanité n’est pas piégée dans un cycle de destruction, souligne Erle Ellis, professeur à l’Université du Maryland.

Certes " le meilleur moment pour atteindre la neutralité carbone, c’était hier ", mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons plus rien faire.

L’homme " est capable de mettre en oeuvre des quantités d’énergies incroyables sur des choses de grande envergure comme voler ou quitter la Terre " pour aller dans l’espace. " Il y a une multitude de futurs possibles ", estime le scientifique.

Cette photo prise le 6 juin 2021 montre des scientifiques manipulant un dispositif de prélèvement de carottes multiples pour extraire des sédiments et des boues, dans la baie de Beppu, au sud du Japon. (Photo Handout / DR. MICHINOBU KUWAE-EHIME CENTRE OF MARINE ENVIRONMENTAL STUDIES / AFP)

Mais comment se les représenter ?

Pour certains, cela passe par de nouveaux récits.

" En tant qu’écrivaine, et créatrice, il est terriblement facile de construire des dystopies ", ces récits de fiction décrivant des mondes parallèles sombres, explique la romancière britannique Manda Scott à l’AFP.

" La façon dont nous envisageons le futur est très enfermée dans le système actuel " et il " est donc plus facile d’imaginer l’extinction totale de la vie sur Terre que la fin du capitalisme prédateur, parce que nous pensons que c’est ainsi et pas autrement ", explique-t-elle.

Les " thrutopias " pour créer un nouvel imaginaire

Selon Mme Scott, pour éviter la catastrophe et créer un nouvel imaginaire, la solution réside dans les " thrutopias ", un néologisme anglais qualifiant des récits du changement, racontant comment les hommes surmontent les obstacles pour créer le futur qu’ils souhaitent.

Mais elle reconnaît que cela n’est pas facile : imaginer la transformation que les sociétés humaines et la nature pourraient subir pour prospérer dans l’Anthropocène revient à deviner la forme que prendra une chenille à l’âge adulte. " Si vous ne connaissez pas le processus avant, je vous garantis qu’il vous serait impossible de prédire le papillon à partir de la chenille ", assure-t-elle.

(ARCHIVES) L’artiste égyptienne Bahia Shehab se tient devant son installation " Heaven &amp ; Hell in the Anthropocene ", qui sensibilise aux questions climatiques, exposée au sommet climatique COP27, en Egypte, le 14 novembre 2022. (Photo Mohammed ABED / AFP)

Alors Grace Malie a, elle, fait le choix de s’appuyer sur des histoires vraies pour enclencher la marche du changement.

Avec d’autres militants, elle enregistre les histoires orales de ses aïeux et des anciens de Tuvalu, pour créer des archives culturelles en ligne, dans le cadre d’une campagne de protection du patrimoine de Tuvalu par l’Unesco.

" Les habitants du Pacifique sont issus d’une longue lignée de voyageurs, de guerriers, et ils portent en eux cette passion, cette résilience ", déclare Mme Malie, qui veut s’inspirer de cette bravoure pour envisager un autre avenir possible.

Malo Pinatel, avec AFP