Cette condamnation ouvre la voie à d’autres dossiers impliquant des criminels en fuite. Ici Beyrouth a recueilli les réactions des activistes et responsables d’associations qui ont assisté à l’audience qui s’est tenue ce matin à Coblence.

Arrivé en Allemagne en 2016 avec sa famille, l’ex-colonel du régime Assad, Anwar Raslan, s’y pensait en sécurité pour y refaire sa vie incognito. C’était sans compter sur l’infatigable "chasseur de criminels" syriens Anwar al-Bunni. Repéré dans un centre d’hébergement pour réfugié puis dans un supermarché, Anwar Raslan est finalement interrogé par les autorités allemandes qui ouvrent une enquête à son encontre. Ce jeudi 13 janvier, il est devenu le premier haut-responsable du régime syrien au monde à avoir été condamné par la justice à la prison à vie, pour crimes contre l’humanité. Officier responsable de la branche 251 à Damas en 2011, il est accusé d’avoir supervisé des actes de torture sur plus de 4000 détenus, dont notamment des coups de poing, électrochocs, privation de sommeil et sévices sexuels.

A l’issue du procès, Ruham Hawash, survivant de la branche 251 et co-plaignant dans l’affaire contre Anwar Raslan a déclaré : "Aujourd’hui, ce verdict est important pour tous les Syriens qui ont souffert et souffrent encore des crimes du régime Assad. Ce verdict n’est qu’un début et nous avons un long chemin à parcourir. C’est un premier pas vers la liberté, la dignité et la justice".

Ziad Majed : "Tourner la page de l’impunité"

Pour Ziad Majed, politologue et spécialiste de la Syrie, "la justice allemande a confirmé ce que les Syriens évoquent depuis des décennies. Que la torture fait partie de la pratique quotidienne : une machine de mort, d’exécutions et de viols. Une justice européenne indépendante s’est prononcée, on parle de l’Allemagne et de tout ce que cela véhicule au niveau historique. L’excellent travail effectué par les ONG syriennes et étrangères a montré comment tourner la page de l’impunité".

Contactée par Ici Beyrouth, l’avocate syrienne Joumana Seif a assisté au procès de jeudi matin, à Coblence. "C’est un premier pas important pour que justice soit rendue aux victimes du régime. L’issue de ce procès a, avant tout, été rendue possible grâce à la collaboration entre les réseaux d’activistes syriens et d’avocats avec les autorités allemandes", souligne Mme Seif.
Cette condamnation historique a soulevé un vent d’émotion sur les réseaux sociaux. "Les Syriennes et les Syriens présents ici à l’audience sont évidemment soulagés de l’issue du verdict", souligne l’avocate qui estime que "ces actes de tortures et ces crimes ne prendront fin que lorsque ce régime sera hors-jeu, grâce à une transition vers la démocratie en Syrie".

Également présente au procès, Yasmine Al-Mashan, coordinatrice de l’association Ceasar Families en charge de la documentation des crimes du régime, estime que "c’est une condamnation importante pour nous car c’est le premier procès de ce genre visant un agent du régime qui est toujours en place en Syrie". "Personnellement, j’ai souffert du régime Assad et de Daesh. Je suis heureuse qu’un responsable des crimes soit poursuivi. Bachar al-Assad et son régime ont été à l’origine de la mort de quatre de mes frères et Daesh a causé la disparition d’un autre", témoigne Mme Al-Mashan à Ici Beyrouth. "Néanmoins, je crains que ce verdict ne serve d’écran de fumée à la communauté internationale qui se félicitera d’avoir jugé un criminel, alors que la justice ne sera effective qu’en libérant tous les détenus en Syrie, et en documentant le sort des disparus dans les geôles du régime. Construire un pays basé sur la démocratie, la justice et l’égalité reste la priorité".

"C’est vraiment historique", a commenté pour sa part le directeur exécutif de HRW, Kenneth Roth, auprès de journalistes présents à Genève, siège de l’ONG. "La torture et le meurtre en détention dont il a été reconnu coupable sont un élément clé du modus operandi du gouvernement d’Assad", a-t-il soutenu. Pour le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), "ce verdict n’est pas seulement important pour les Syriens victimes du régime Assad, mais surtout car ce procès a été rendu possible grâce à ces victimes. Nos profonds respects vont aux survivants", a déclaré l’ONG.

D’autres actions judiciaires

Ziad Majed souligne également "l’aspect symbolique très important, au moment où certains États arabes et occidentaux commencent à évoquer la normalisation avec le régime syrien, ou sa réintégration dans des processus politiques : voici une décision de la justice allemande qui confirme la thèse de l’institution carcérale responsable de crimes contre l’humanité, qui torture et tue de façon systématique".

"D’autres dossiers sont en train d’être constitués en Europe afin de juger les criminels du régime qui s’y cachent impunément. Documenter les crimes du régime doit être un fil conducteur", explique Joumana Seif. Les plaintes de Syriens affirmant avoir été torturés dans les geôles du régime se sont multipliées en Allemagne, qui applique le principe juridique de la "compétence universelle" permettant à un État de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, quels que soient leur nationalité et l’endroit où ils ont été commis.

En septembre 2021, près de 27 000 photos inédites exfiltrées de Syrie par "César", un ex-photographe de la police militaire qui s’était enfui en 2013 avec 55 000 photographies de corps torturés dans les prisons du régime, sont remises au Parquet fédéral. L’ECCHR qui supervise ces dossiers a annoncé en juillet 2020 que sept Syriens et Syriennes victimes ou témoins de viols et d’agressions sexuelles dans des centres de détention du régime ont déposé plainte.

La responsable de Ceasar Families Yasmine Al-Mashan rappelle que, "à l’heure actuelle, en Allemagne, une autre instruction est en cours et concerne un médecin qui torturait des détenus. Nous estimons également que l’initiative néerlando-canadienne (pour poursuivre d’autres criminels de guerre syriens) est très importante, mais nous devons déployer nos efforts pour obtenir le plus de résultats possibles, et je peux vous assurer que les familles se mobilisent davantage depuis l’issue de ce procès à Coblence".

D’autres étapes sont à venir et "il ne faut pas se contenter de cette saisie de la question syrienne par la justice", souligne Ziad Majed, qui ajoute par ailleurs : "La tête du régime reste pour le moment protégée et impunie. Des personnes qui sont en Europe qui ont fait partie du régime sont désormais inquiétées. La bataille judiciaire doit se poursuivre pour que la hiérarchie soit touchée. Ce ne sont pas des actes isolés puisque la torture date des années 1970, notamment à Palmyre et Mazzé (Damas). L’important est que les opinions publiques occidentales fassent pression sur leur gouvernement".

 

Pour regarder la vidéo : Verdict historique en Allemagne contre un ex-colonel du régime Assad