Du Mali en 2020 au Gabon en ce mercredi 30 août, l’Afrique subsaharienne a été secouée par de multiples coups d’Etat au cours des dernières années. À l’heure où le président gabonais Ali Bongo est détenu par ses soldats et que l’ombre de la Russie plane sur toutes les entreprises précédentes, retour sur cet effet domino et ses implications au niveau géopolitique.

L’Afrique subsaharienne, une région marquée par une longue histoire de troubles politiques, est le théâtre actuellement d’une série sans précédent de prises de pouvoir par des militaires. Les récents coups d’État au Niger et au Gabon apportent de nouveaux éléments à une tendance inquiétante qui sévit dans cette région depuis le début des années 2020.

L’Afrique est le continent qui a montré la plus forte récurrence en termes de coups d’État au fil des décennies. Entre 1960 et 2000, cette partie du monde a connu en moyenne quatre tentatives de coups d’États par an, dont 82 réussis.

Ces chiffres s’expliquent par une multitude de facteurs, notamment les problèmes hérités des puissances coloniales, tant en termes d’institutions et de frontières, que les questions d’identité ou de ressources.

L’action subséquente des puissances extérieures, à l’image de la France ou de l’Union Soviétique, a aussi contribué à cette instabilité.

Effet domino

La décennie actuelle voit un retour en force de la tendance des putschs en Afrique subsaharienne. Celle-ci débute en 2020 au Mali, avec un putsch mené par le colonel Assimi Goïta. Ce dernier récidive l’année suivante, après avoir laissé les rênes à un gouvernement de transition dirigé par l’ancien ministre de La Défense, Bah N’Daw.

Le chef intérimaire et chef de la junte du Mali, le colonel Assimi Goïta (à droite) et le chef intérimaire et chef de la junte de Guinée, Mamady Doumbouya (à gauche), sont vus à Bamako, au Mali, le 22 septembre 2022, lors du défilé militaire de la fête de l’Indépendance du Mali. (Photo OUSMANE MAKAVELI / AFP)

La même année, le Niger est le théâtre d’une tentative de coup d’État menée par une faction dissidente des forces armées nigériennes.

En revanche, d’autres opérations similaires en Guinée et au Soudan sont couronnées de succès. La première amène le colonel Mardi Doumbouya au pouvoir, tandis que la seconde installe le général Abdel Fattah al-Burhane à Khartoum.

S’ajoute à cette vague le Tchad, où l’armée installe le fils d’Idriss Déby, Mahamat Idriss Déby, en tant que président intérimaire, ce qui a conduit à l’expression " coup dynastique " de la part de ses opposants.

En 2022, ce sont deux putschs qui secouent le Burkina Faso, le second amenant au pouvoir l’actuel dirigeant, le jeune colonel Ibrahim Traoré.

L’année 2023 achève la série noire en Afrique subsaharienne. Une tentative de coup d’État menée par le commandant des Forces de réaction rapide, un groupe paramilitaire dirigé par le général Mohammed Hamdane Daglo, dégénère en guerre civile au Soudan.

En revanche, le putsch conduit par le commandant de la garde présidentielle, Abdourahmane Tiani, fin juillet au Niger, parvient à s’imposer. Aujourd’hui, les yeux sont donc tournés vers les développements en cours au Gabon, sous la conduite d’éléments des forces armées.

Si ces putschs sont officiellement tous justifiés par une situation sécuritaire en déliquescence, des difficultés économiques ou encore des accusations de corruption, ils finissent invariablement par prendre pour cible la France, notamment le fameux système de la Françafrique.

L’ancienne puissance coloniale est perçue comme un fauteur de troubles. L’ensemble des coups d’État dans la région depuis 2020 concernent d’ailleurs des pays de l’ancien empire français, à l’exception du Soudan.

Cette vague suscite des inquiétudes portant sur les dynamiques liées à ces évolutions politiques. Tout d’abord, elle pose la question de la survie des régimes démocratiques face à cette poussée autoritaire. C’est dans ce cadre que s’inscrit le bras de fer engagé par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avec la junte nigérienne, dans le but de restaurer dans ses fonctions le président déchu Mohamed Bazoum.

Les dirigeants de l’organisation craignent, en effet, que les cas nigériens, burkinabés et maliens ne donnent des idées à leurs propres élites militaires – ce qui semble être le cas des forces armées gabonaises.

L’influence de Moscou en coulisses

Au niveau des chancelleries occidentales, c’est l’action de la Russie dans la région qui est scrutée. Par le biais du groupe paramilitaire Wagner, celle-ci étend en effet son influence en Afrique.

Des manifestants tiennent un drapeau russe et une banderole avec des portraits (de gauche à droite) du général Abdourahamane Tiani, nouvel homme fort du Niger, du chef de la junte du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traore, du chef de la junte du Mali, Assimi Goita, et du chef de la junte de Guinée, le colonel Mamady Doumbouya, lors d’une manifestation organisée à Niamey le 3 août 2023. (Photo – / AFP)

L’objectif de Moscou est ici double. D’un côté, avoir accès aux vastes ressources présentes dans les sols de ces pays. Le mode d’opération russe se résume généralement à obtenir des concessions en échange d’un appui au régime en termes de sécurité.

D’un autre côté, la stratégie russe est clairement dirigée contre l’influence des puissances occidentales, à l’image de l’invasion qu’elle mène en Ukraine. Dans ce cadre, il s’agit davantage de combattre le modèle démocratique, en favorisant les tentatives de putsch.

L’outil favori du Kremlin est ici un usage intensif  de moyens peu onéreux et extrêmement efficaces, tels que la désinformation. Cela lui permet notamment d’exacerber le ressentiment des populations face aux anciennes puissances coloniales, plus particulièrement la France, perçue comme un soutien systématique aux gouvernements décriés.

Ainsi, les dirigeants maliens, burkinabés et nigériens ont déjà entamé un rapprochement avec la Russie, encouragés en ce sens par une partie de leur population.

En parallèle, ces dirigeants poussent les occidentaux vers la sortie, comme en témoigne la fin de l’opération Barkhane, en 2022, au Mali, suivie d’un redéploiement au Niger. Aujourd’hui, ce sont les forces françaises et américaines présentes à Niamey qui sont dans le collimateur des autorités locales, entraînant un bras-de-fer avec les autorités françaises.

Des soldats français vérifient un drone Reaper après une mission sur la base aérienne française de Niamey, le 14 mai 2023. (Photo ALAIN JOCARD / AFP)
La menace jihadiste en embuscade

Force est de relever que la stabilité des pays de la bande sahélienne est menacée, du fait de l’influence croissante des groupes extrémistes dans la région. Celle-ci est devenue en quelques années l’épicentre de la violence jihadiste, surpassant en cela le théâtre du Moyen-Orient.

À titre d’exemple, dans le cas malien, la fin de Barkhane a créé un vide sécuritaire que des groupes islamistes se sont empressés de combler, comme le Groupe de soutien à l’Islam (GSIM, affilié à Al Qaida), ou encore l’État islamique au grand Sahara.

Les groupes islamistes occupent désormais de larges pans du territoire malien, y compris la ville de Tombouctou. Au Niger, l’arrêt des opérations françaises en soutien aux forces armées locales a été suivi d’une multiplication d’attaques jihadistes contre ces dernières. Il en est de même au Burkina Faso, où la nouvelle junte peine à endiguer les attaques terroristes.