Le Chili commémore le 50e anniversaire du coup d’État de Pinochet, laissant entrevoir une société divisée entre mémoire et avenir, alors que de nouvelles générations façonnent le paysage politique.

" Mission accomplie ". Il est 14 heures le 11 septembre 1973 lorsque les militaires sous les ordres du général Augusto Pinochet renversent le président Salvador Allende. Cinquante ans après, ce coup d’État militaire qui marque le début d’une dictature de 17 ans au Chili, continue de diviser la société.

Des images de détenus disparus sous la dictature sont projetées sur la façade du palais de la Moneda à Santiago. (AFP)

Le coup d’État, comme la mort d’Allende qui s’est suicidé pendant que le palais présidentiel de la Moneda était sous les bombes, sera commémoré lundi par le président de gauche Gabriel Boric, en présence de ses homologues du Mexique, de la Colombie, de l’Argentine et de l’Uruguay.

A la chute d’Allende commence la purge de ses soutiens. Arrestations, tortures, assassinats, disparitions. La dictature est officiellement responsable de 1.747 assassinats. Sur les 1.469 personnes portées disparues à la fin du régime en 1990, 307 ont été identifiées. Quelque 1.162 corps manquent aux familles pour faire leur deuil.

Emilia Vasquez n’a jamais eu de nouvelles de son fils Miguel Heredia, militant de gauche de 23 ans arrêté en 1973. " Quand on m’a dit qu’il avait été jeté à la mer, ça a été la chose la plus difficile car j’ai toujours eu espoir de le retrouver vivant ", raconte cette mère de 87 ans.

La justice a commencé en 1998 à approfondir les enquêtes sur les violations des droits humains. Depuis, quelque 250 agents de la dictature ont été condamnés, dont fin août les responsables de la torture et de l’assassinat du chanteur populaire Victor Jara.

Dans le Chili d’aujourd’hui, 79% des 20 millions d’habitants sont nés après le coup d’État militaire. Pouponnés à la démocratie, 60% des jeunes ont une opinion négative de Pinochet, contre 12% une opinion favorable, selon l’institut de sondage Activa Research.

" Le général a pris la présidence et la nation, sur la base de ses idées. Je ne pense pas que c’était juste, mais c’est comme ça que sont les humains ", juge Cristian Duarte, informaticien de 25 ans.

Mais pour Alexander Bustamente, lycéen du haut de ses 18 ans, " certains le qualifient de dictateur, mais il (Pinochet) a quand même fait de bonnes choses ".

Selon Rodrigo Espinoza, analyste politique à l’université Diego Portales, pour la jeunesse actuelle, " le coup d’État et la dictature appartiennent au passé, pas à l’avenir ".

C’est pourtant cette nouvelle génération qui s’est révoltée en 2019 contre les inégalités sociales, pointant l’héritage de Pinochet et de la Constitution ultra-libérale née sous son régime. Cette révolte a porté au pouvoir le jeune président de l’union de la gauche, Gabriel Boric, contempteur de l’ex-dictateur.

Si avec Boric ce sont aujourd’hui les héritiers politiques d’Allende qui gouvernement, c’est l’extrême droite qui vient de se renforcer. Le Parti républicain, ultraconservateur, ouvertement nostalgique de Pinochet, a remporté la dernière élection pour mener un processus de nouvelle constitution.

Et le fossé se creuse aussi politiquement. L’opposition de droite s’est abstenue d’adhérer à l’engagement de " défendre la démocratie contre les menaces autoritaires " promu par le président Gabriel Boric et signé par quatre anciens présidents post-dictature.

Allende, Pinochet, font " leur retour " dans la politique actuelle, estime auprès de l’AFP l’historienne Patricia Arancibia. " Cette résurgence " de l’image de Pinochet elle l’assimile " d’un point de vue historique, à un mouvement de pendule ".

La société chilienne est elle divisée face à ces deux figures tutélaires. 40% estiment qu’Allende est responsable d’avoir conduit le Chili vers le coup d’État, tandis 50% abhorrent le régime imposé par le général, selon le dernier sondage réalisé par Activa Research.

Augusto Pinochet est paisiblement mort d’une crise cardiaque en 2006, à l’âge de 91 ans, sans avoir jamais mis les pieds dans une prison, encore moins dans un tribunal.

Maria Chami avec AFP