Après plus de trente années de conflits latents et d’affrontements violents, la situation au Haut-Karabakh a pris une tournure tragique mardi avec le lancement " d’opérations antiterroristes " par l’Azerbaïdjan contre l’enclave arménienne.

Malgré l’émoi international, le sort du Haut-Karabakh semble scellé suite à la confirmation d’un cessez-le-feu après une médiation des forces russes ce mercredi, qui présage la réintégration de ce territoire à l’Azerbaïdjan et le désarmement des forces arméniennes locales.

Un désarmement qui va conduire à la dissolution des institutions de la région, selon Yeghia Tashjian, chercheur associé à l’Institut Issam Fares, pour qui " les dirigeants du Haut-Karabakh seront soit tués, soit détenus, car ils sont recherchés par Bakou ".

Déjà affaiblis par le blocus du corridor de Latchine depuis juillet, seule route qui les relie à l’Arménie, les habitants du Haut-Karabakh ne paraissent plus être en mesure de lutter contre les assauts répétés de Bakou.

Cependant, une réintégration complète de la région à l’Azerbaïdjan pose question, tant les rancœurs sont présentes des deux côtés. Sans réelle médiation et avec un rapport de force clairement déficitaire pour les Arméniens, la réintégration du territoire à l’Azerbaïdjan pourrait conduire à un exil forcé de milliers de personnes présentes pourtant depuis des siècles. " Même si les Arméniens voulaient quitter le Haut-Karabakh, ils ne pourraient pas, car l’Azerbaïdjan voudra juger leurs actions durant ces 30 dernières années ", souligne à Ici Beyrouth Yeghia Tashjian, pour qui " seule la Russie pourrait permettre aux Arméniens de partir ". Une situation qui pourrait être l’objectif inavoué du président azerbaïdjanais Ilham Aliev qui, aidé de son parrain turc, a fait de la récupération du Haut-Karabakh son cheval de bataille.

La lenteur, voire l’inaction de la communauté internationale, dont tous les regards sont centrés sur le conflit ukrainien, ne laisse entrevoir que peu d’espoir dans une solution internationale. " La communauté internationale a échoué ", confirme Yeghia Tashjian, " ils n’ont aucun moyen de pression sur l’Azerbaïdjan. Seul Moscou peut changer les choses, mais pour moi, c’est terminé ".

Malgré les appels à respecter les termes du cessez-le-feu de 2020 du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et l’appel du président russe Vladimir Poutine à un " règlement pacifique " du conflit, la communauté internationale devrait vraisemblablement rester spectatrice des pourparlers prévus mardi prochain dans la ville azerbaïdjanaise de Yevlakh.

Les forces russes qui assurent le maintien de la paix depuis 2020, sont accusées ces derniers mois d’inaction par l’Arménie. Embourbée en Ukraine, la Russie n’a, en effet, plus vraiment les moyens de s’investir pleinement dans la région et se contente de servir de médiateur entre Erevan et Bakou.

Les Arméniens manifestent devant le bâtiment du gouvernement (Photo de Karen MINASYAN/AFP)

Faute d’alternative réelle, l’Arménie continue cependant de compter sur le soutien de Moscou. Dans une allocution télévisée, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a affirmé espérer que les forces russes de maintien de la paix " s’acquitteraient pleinement de leurs obligations ". Un vœu pieux qui démontre surtout l’absence de solutions alternatives.

La décision de l’Arménie de ne pas intervenir face aux attaques azerbaïdjanaises, de même que sa non-participation à la rédaction de l’accord de cessez-le-feu entre les séparatistes et Bakou est le signal d’un abandon de la lutte après 30 années de conflit. " Nous avons pris note de la décision des autorités du Karabakh de cesser les hostilités et de déposer les armes ", a réagi sobrement le Premier ministre arménien sans réaffirmer son soutien aux séparatistes.

Un abandon qui a provoqué l’ire d’une partie de la population arménienne qui s’est rassemblée devant le bâtiment du gouvernement pour exiger une réaction du pays, qualifiant Nikol Pachinian de " traître ". Ce dernier a dénoncé des appels à un coup d’État par ses opposants. " Les autorités arméniennes pensent qu’en abandonnant le Haut-Karabakh, ils ont sauvé l’intégrité territoriale de l’Arménie " analyse Yeghia Tashjian, " mais c’est une erreur, car l’objectif du président Aliev est d’obtenir un corridor pour relier son pays à la Turquie ". Pour lui, " la prochaine guerre sera sur le territoire arménien ".

À moins d’une réaction armée de l’Arménie ou d’un sursaut de la communauté internationale, le sort du Haut-Karabakh semble donc être scellé. Mais cela ne marque qu’une nouvelle page dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.