" Grand remplacement ", immigrés délinquants… les saillies du candidat Eric Zemmour, dont la campagne d’extrême droite imprègne fortement la course à la présidence, s’inscrit dans un débat français sur l’immigration et l’islam plus marqué que dans le reste de l’Europe.

Les débats sur ces sujets s’inscrivent dans un passé colonial tumultueux, qui a nourri une intégration chaotique des importantes populations d’origine étrangère, et dans une conception exigeante de la laïcité, expliquent des experts à l’AFP.

" L’enjeu migratoire est particulièrement présent en France car il réveille le difficile souvenir de la guerre d’Algérie " et son cortège de morts, de rapatriements massifs, de tortures, qui ont " laissé des traces profondes dans l’inconscient collectif ", observe le politologue Pascal Perrineau.

Par comparaison, " l’Allemagne ne s’est pas battue avec la Turquie ni la Belgique avec le Maroc ", poursuit-il, en référence aux importantes populations d’origine turque et marocaine de ces deux pays.

La France fit aussi face à une " pression migratoire plus forte " de ses anciennes possessions que les autres puissances coloniales, estime Emmanuel Comte, chercheur au Centre des affaires internationales de Barcelone. Elle se distingua par un accueil particulièrement déficient, notamment en terme d’emploi.

Si les immigrés bénéficièrent d’un " marché fluide " outre-Manche et qu’ils furent des " travailleurs invités " en Allemagne, la France a à l’inverse restreint leur accès au salariat " dès les années 1970-1980 " pour privilégier celui de ses ressortissants, affirme-t-il.

Dans le même temps, elle les a cantonnés dans des " ghettos ", constate M. Comte. Les banlieues construites après la deuxième guerre mondiale en France se sont vidées de leurs classes moyennes. Seuls les plus pauvres, souvent des immigrés et leurs descendants, sont restés dans ces quartiers où commerces et services publics ont progressivement disparu.

Privés d’opportunités professionnelles, certains ont plongé dans la délinquance. Les immigrés sont alors devenus des " nuisances " aux yeux d’une partie la population, un stéréotype entretenu selon le chercheur par la " croisade " politique menée contre eux.

Car la France a une " tradition d’extrême droite qui remonte à la fin du XIXe siècle et dont on a aujourd’hui les héritiers ", remarque le politologue Jean Garrigues. Jean-Marie Le Pen, un ancien des guerres d’Indochine et d’Algérie, créa le Front national dès 1972.

Si sa fille Marine, défaite au deuxième tour de la présidentielle de 2017 par Emmanuel Macron, a policé son discours, le candidat Eric Zemmour la déborde désormais à droite, multipliant les saillies sur l’immigration et l’islam.

Dans le même temps, comme le note Didier Leschi, patron de l’organe chargé d’orchestrer l’accueil et l’intégration en France (OFII), le parcours d’intégration des étrangers est " devenu plus long et plus difficile sous la pression de l’islam intégriste ".

Pression qui provoque un conflit avec la laïcité, fruit de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat, qui cantonne la religion à la sphère privée.

En 2010, l’interdiction du voile intégral en France avait provoqué une controverse internationale. Une position désormais largement assumée par la société française, quand de multiples attentats jihadistes sur le sol national ont causé un rejet de l’islam, selon les experts.

" La France est le grand méchant loup de la laïcité ", soutient Pooyan Tamimi Arab, chercheur en études religieuses de l’université d’Utrecht, en estimant que la France a une approche stricte du concept.

Au Royaume-Uni, où le rejet de l’immigration fut central dans le vote du Brexit en 2016, l’islam n’a jamais été mentionné, constate Steven Fielding, un professeur d’histoire politique à l’université de Nottingham, l’identité nationale y étant un concept plus " souple ", " moins affirmatif " qu’en France.

Dans le modèle britannique, pensé comme la juxtaposition de différentes communautés, les religions sont ainsi omniprésentes dans l’espace public, par opposition à la France, où l’étranger doit s’intégrer au modèle national, voire l’assimiler.

" Il y a des musulmans très haut placés dans le parti conservateur, jusqu’au gouvernement de Boris Johnson, mais ça passe comme une lettre à la poste ", observe M. Fielding.

En Allemagne, un million de migrants ont été accueillis en 2015, provocant un mouvement de solidarité nationale et une forte poussée de l’AFD (extrême droite), dans un pays où les tabous liés au passé nazi avaient jusqu’alors empêché l’émergence d’un parti extrémiste fort.

Mais aux élections de 2021, cette formation fit campagne sur le Covid-19. " La question identitaire n’était pas le sujet en Allemagne ", où le " traumatisme " lié à des attentats jihadistes est bien moins fort qu’en France, analyse Daniela Schwartzer, directrice de l’ONG Open society.

A l’inverse, l’inquiétude identitaire a nourri l’élection d’un chancelier d’extrême droite dès 1999 en Autriche. Des partis surfant sur cette vague ont intégré des coalitions de gouvernement en Norvège et au Danemark.

En Italie, Matteo Salvini, héraut de l’extrême droite, était encore récemment vice-président du conseil, ce qui " en dit long sur l’importance de la question migratoire " dans ce pays, remarque Antonio Ciniero, sociologue des migrations de l’université du Salento, alors que l’Italie, jadis terre d’émigration, est devenue une des principales portes d’entrée de l’immigration clandestine en Europe.

AFP

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