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Quand Gaza est bombardée de manière aussi aveugle que le président français Emmanuel Macron en est réduit à "implorer" les Israéliens d’épargner femmes et enfants, ou quand le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, se promet de mettre la main sur Yahya Sanouar, le cerveau du raid du 7 octobre, pour le liquider sans autre forme de procès, sommes-nous encore dans le cadre de la légalité internationale?

Jusqu’où peut aller la légitime défense et à partir de quel seuil de violence peut-on qualifier les opérations militaires menées de représailles ou de ripostes mues par la vengeance? À Gaza, la véhémence des combats en milieu civil est de prime abord condamnable aux yeux du droit international, ce "gentle civilizer of nations"1, ce droit que les juridictions spécialisées sont censées appliquer, pour le cas très improbable où elles auraient à le faire?

Un droit coutumier, codifié en droit subsidiaire et provisoire

Une personne juridique, fût-elle individu ou État, ne peut se faire justice elle-même sauf en cas de légitime défense. Ce droit coutumier était tellement évident que la charte des Nations unies l’a codifié et explicitement reconnu en son article 51. Il n’empêche néanmoins que ce droit de recours à la force armée, pour contrer une agression, reste un droit subsidiaire et provisoire tant que le Conseil de sécurité de l’ONU n’aura pas pris les mesures nécessaires pour s’acquitter de sa mission de maintenir la paix et la sécurité internationales. Donnons comme exemple le conflit qui se déclencha en Extrême-Orient, quand la Corée du Nord envahit le 25 juin 1950 le territoire de la Corée du Sud. Les troupes de cette dernière se défendirent tant bien que mal, épaulées qu’elles étaient par le contingent américain. Les autorités communistes de Pyongyang, l’agresseur en l’espèce, assurée d’une victoire éclair, allaient faire fi de l’appel à un cessez-le-feu immédiat décrété par le Conseil de sécurité. C’est alors que cette instance basée à New York allait recommander aux États membres de fournir l’assistance militaire à la Corée du Sud. À partir de ce moment, c’était la résolution 84 du 7 juillet 1950 qui allait régir la situation, et non plus ce réflexe de survie qui se concrétise en autodéfense.

Revenons à notre Moyen-Orient: il est clair, aux yeux du droit international, qu’Israël était la partie agressée le 7 octobre dernier. Israël va sans doute invoquer le droit à l’autodéfense pour poursuivre ses opérations militaires à Gaza. Or, il s’avère que ce droit ne peut servir de prétexte à une riposte disproportionnée. Pas plus qu’il n’accorde à la partie agressée la latitude absolue de mener des opérations vindicatives et encore moins l’immunité pour se dégager de toute responsabilité au "jour du jugement".

Qui ne se souvient de la décision prise par le président Truman de limoger le général MacArthur, commandant en chef des troupes alliées en Corée, ce dernier voulant profiter du momentum pour étendre le conflit jusqu’en Chine en ayant recours, le cas échéant, à des armes atomiques?

Le droit sacré d’assurer sa propre survie ou son intégrité physique ne peut justifier les débordements ni laisser libre cours à la soif inextinguible de Némésis, déesse de la vengeance.

Humanité et nécessité militaire

L’exercice de ce droit de défense est, non seulement provisoire et subsidiaire comme susdit, mais il reste également encadré, dans son exercice même, par les critères d’humanité, de nécessité militaire et de proportionnalité. Comme l’atteste la clause dite de Martens qui fait son apparition dans le Préambule de la Convention II de La Haye de 1899: "Les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l’emprise des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique". Ainsi donc, quelles que soient les raisons d’entrer en guerre, il incombe aux belligérants de prendre toutes les mesures indispensables pour "éviter les maux superflus engendrés par le recours à la force". Rappelons le principe de nécessité qui exige que seuls les objectifs militaires qui "apportent une contribution effective à l’action militaire de l’ennemi par leur nature" peuvent être l’objet d’attaques. Les hôpitaux, où blessés, militaires et civils sont soignés, ne peuvent être pris pour cible. Pas plus que les écoles ou les lieux de culte.

Improbable proportionnalité

Cherchant en 1939 un prétexte pour envahir son voisin, l’Allemagne hitlérienne avait monté de toutes pièces un incident à sa frontière avec la Pologne. Or l’attaque, soi-disant commandée par Varsovie, d’un émetteur-radio en territoire allemand ne pouvait justifier l’invasion en bonne et due forme d’un pays2. C’était une grave atteinte au principe de proportionnalité d’après lequel il doit y avoir "adéquation entre l’intensité de la réaction d’un État agressé et l’agression armée dont il est l’objet".

Quant à Gaza, l’aspect excessif de la réaction israélienne frise le nettoyage ethnique, comme le pensent certains responsables à l’ONU3. Ce qui ne disculpe nullement le Hamas qui, à l’évidence, se sert des civils comme boucliers humains.

Chercher à éradiquer cette organisation, terroriste pour certains pays et coupable d’avoir perpétré des massacres de civils, peut être plaidé devant une cour de justice. En revanche, raser Gaza-city sous les bombes ou rejeter les Gazaouis dans le Sinaï égyptien, relève d’opérations que ne peut justifier le droit humanitaire.

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1- L’expression est de Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law (1870-1960), Cambridge University Press, 2001.

2- Connu dans l’histoire comme "l’opération Himmler", ce fut une opération commando des services nazis qui avaient simulé une attaque prétendument commandée par Varsovie contre un émetteur radio en territoire allemand. L’incident déclencha la Seconde Guerre mondiale en Europe.

3- Martin Pereira, "Guerre Hamas-Israël: l’ONU met en garde contre un possible ‘nettoyage ethnique’ à Gaza", Le Point, 14 octobre 2023.