Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait part, dans une interview exclusive à l’AFP, des défis auxquels fait face son pays, notamment la nouvelle offensive russe sur Kharkiv et le manque au niveau des systèmes de défense antiaérienne. M. Zelensky a confié avoir "rejeté" la trêve olympique et souhaité que la Chine soit "impliquée" dans la conférence sur la paix en Ukraine, que la Suisse organise à la mi-juin.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a jugé, dans un entretien exclusif accordé vendredi à l’AFP, que le nouvel assaut russe contre la région de Kharkiv, pourrait être la première vague d’une offensive plus large touchant l’Est et le Nord.

Malgré le "risque" de percées russes face à une armée ukrainienne affaiblie par des pertes et le manque d’armement, l’Ukraine va continuer de se battre, a-t-il assuré, dans son premier entretien avec un média étranger depuis le début de l’offensive russe contre la région de Kharkiv (nord-est). Soulignant que la situation dans ce secteur est aujourd’hui meilleure pour l’Ukraine, il a estimé que la Russie n’avait pas les forces pour lancer une offensive terrestre contre Kiev, la capitale.

Vêtu d’un T-shirt et d’un pantalon traditionnel de style militaire contrastant avec l’intérieur pompeux de l’administration présidentielle, M. Zelensky, regard vif et petite barbe, ne semble avoir rien perdu de sa combativité après plus de deux ans d’invasion, alors que Moscou engrange ses plus grands gains territoriaux depuis fin 2022.

S’agissant de pourparlers, avant la conférence sur l’Ukraine prévue mi-juin en Suisse, le président Zelensky a appelé l’Occident à ne pas seulement vouloir mettre fin à la guerre avec la Russie, mais à chercher une "paix juste" pour son pays. "Nous voulons que la guerre se termine par une paix juste pour nous", a-t-il dit, "et l’Occident veut juste que la guerre s’arrête, aussi vite que possible".

En outre, le déploiement de nouvelles livraisons d’armes occidentales pourrait prendre encore des mois durant lesquels il y a un risque de "percées" russes dans certains secteurs, a déclaré M. Zelensky. Mais "personne ne va abandonner" (le combat en Ukraine), a-t-il encore assuré. "Je suis sûr que, quelles que soient les difficultés rencontrées et les percées réalisées, il n’y aura toujours pas de percée globale, a soutenu M. Zelensky. Leurs plans sont clairs pour nous, ils sont clairs pour le commandement militaire. Je pense donc que nous allons nous débrouiller d’une manière ou d’une autre."

Avec l’offensive de Kharkiv, les troupes russes "ont lancé leur opération", a-t-il ajouté, estimant que cette offensive sera constituée de plusieurs vagues. "C’est leur première vague. Mais la situation est sous contrôle après cette première vague", a assuré le président ukrainien.

"Ils sont à 5-10 kms maximum de la frontière. Nous les avons stoppés. (…) Je ne dirai pas que c’est un grand succès (russe), mais on doit être sobre et admettre que ce sont eux, pas nous, qui s’enfoncent dans notre territoire. C’est leur avantage", a-t-il constaté.

120 à 130 avions F16

Selon M. Zelensky, la situation n’est pas encore "stabilisée". "Néanmoins, la situation est sous contrôle, et meilleure que le premier jour" de l’offensive grâce aux renforts déployés, a-t-il dit. Selon lui, la Russie veut attaquer la ville de Kharkiv, deuxième ville du pays, à seulement quelques dizaines de kilomètres du front. Il a toutefois assuré que la bataille pour la cité, s’il y avait, serait rude pour l’armée russe. "Ils le veulent, ils veulent attaquer, mais ils comprennent que c’est très difficile, a-t-il dit. Ils comprennent qu’on a des forces et qu’elles combattront longtemps."

"S’ils sentent une faiblesse dans cette direction, ils pousseront", a mis en garde M. Zelensky, soulignant mais si les troupes ukrainiennes arrivent à arrêter celles russes, Moscou renoncera. "Ils ne vont pas mourir par millions, selon moi, pour avoir Kharkiv", a-t-il noté.

Moscou avait déjà échoué à la prendre en 2022 et Vladimir Poutine a affirmé vendredi ne pas avoir l’intention de l’attaquer "pour l’instant". Selon lui, l’assaut russe vise à créer une zone tampon censée empêcher les frappes ukrainiennes en territoire frontalier russe.

Il s’agit désormais pour l’Ukraine et ses alliés occidentaux de faire preuve de résilience, a insisté pour sa part le président Zelensky réclamant donc deux systèmes antiaériens Patriot pour défendre le ciel de la région et les soldats ukrainiens qui la protègent.

Au total, l’Ukraine n’a qu’un quart des systèmes de défense antiaérienne dont elle a besoin et nécessite au total 120 à 130 avions de combat F16 pour mettre fin à la domination de la Russie dans les airs, a déclaré le chef de l’État.

Après les importants retards de livraisons d’aide militaire américaine et européenne, M. Zelensky a estimé que l’Occident avait "peur" aussi bien d’une défaite russe que d’une défaite ukrainienne. "Nous nous trouvons dans une situation absurde où l’Occident a peur que la Russie perde la guerre. Et (en même temps) il ne veut pas que l’Ukraine la perde", a-t-il dit.

Il a aussi fustigé ses alliés qui lui interdisent d’utiliser les armes occidentales pour frapper le territoire russe, de crainte que ça ne pousse le Kremlin à une escalade. "Ils peuvent nous frapper depuis leur territoire, c’est le plus grand avantage dont la Russie dispose, et nous ne pouvons rien faire à leurs systèmes (d’armements) situés sur le territoire russe avec les armes occidentales. Nous n’en avons pas le droit", a-t-il dénoncé.

Remplir les réserves

Le président Zelensky a en outre reconnu que son armée manquait d’hommes et que cela affectait le moral des troupes, alors qu’une nouvelle loi sur la mobilisation est entrée en vigueur samedi pour regarnir les rangs des forces ukrainiennes. "On doit remplir les réserves (…) Il y a un nombre important de brigades qui sont vides. On doit le faire pour que les gars (qui sont sur le front) puissent avoir des rotations normales. C’est comme ça que le moral s’améliorera", a-t-il avancé.

Le chef de l’État a aussi indiqué avoir rejeté l’idée de "trêve" pendant la durée des Jeux olympiques de Paris en été que souhaitait le président français Emmanuel Macron. Il a confié avoir dit au président français qu’il "n’y croit pas", puisque l’Ukraine "ne fait pas confiance à Poutine". M. Zelensky a souligné avoir également dit au président Macron que la Russie "ne va pas retirer ses troupes" et que rien ne "garantit qu’elle ne va pas profiter (de cette trêve) pour faire venir ses troupes sur le territoire" ukrainien. Le président ukrainien a ainsi affirmé avoir rejeté "une trêve qui ferait le jeu de l’ennemi".

Enfin, il a souhaité voir la Chine et des pays du Sud "impliqués" dans la conférence sur la paix en Ukraine, que la Suisse organise à la mi-juin. "Des acteurs mondiaux" comme la Chine "ont une influence sur la Russie", a-t-il insisté. "Et plus nous aurons de pays de ce type de notre côté, du côté de la fin de la guerre, je dirais, plus la Russie devra compter avec cela", a conclu le président ukrainien.

Ania Tsoukanova, AFP