L’État est passé à l’offensive dimanche en Nouvelle-Calédonie pour tenter de rétablir "l’ordre républicain" sur le territoire, "quoi qu’il en coûte", en commençant par une opération d’envergure des gendarmes sur la route entre Nouméa et l’aéroport international, après six morts en six jours d’émeutes.

La colère des indépendantistes, provoquée par une réforme du corps électoral de l’archipel du Pacifique sud, a enclenché un cycle de violences marquées par des jours et des nuits d’incendies, d’affrontements et de barrages.

"Je veux dire aux émeutiers, stop, retour aux calme, rendez vos armes", a répété plusieurs fois lors d’un point presse dimanche vers 18h (9h à Paris) le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc. "L’ordre républicain sera rétabli, quoi qu’il en coûte", a martelé le représentant de l’État, mettant en garde les "émeutiers": "S’ils veulent utiliser leurs armes, ils prennent tous les risques."

En l’absence de vols commerciaux depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, l’exécutif français a donné la priorité à la route entre Nouméa et son aéroport international. Sur cet axe stratégique pour permettre le réapprovisionnement du sud de la grande île soumis à des pénuries, l’État a lancé dimanche vers 6h40 (21h40 samedi à Paris) une vaste opération de 600 gendarmes, dont une centaine de membres du GIGN, l’unité d’élite de la gendarmerie.

L’opération a consisté à faire partir de Nouméa un convoi pour supprimer tous les obstacles sur cette route. Il est fait entre autres de blindés de la gendarmerie et d’engins de chantier qui déblayent le passage.

"Jusqu’au bout "

Selon le haut-commissaire, une soixantaine de barrages ont été "percés" – sans heurts malgré quelques légers accrochages sporadiques – mais la grande majorité (une quarantaine) encombrent encore la voie. Les carcasses de voitures brûlées, la ferraille et le bois entassés doivent être dégagés "demain et après-demain" (lundi et mardi). La voirie a été abîmée à certains endroits et la circulation ne peut pour l’heure être rétablie, a-t-il précisé.

Des journalistes de l’AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, la circulation pour ceux qui voudraient sortir de l’agglomération en direction du nord-ouest restait entravée. Des indépendantistes filtrent le passage par de très nombreux barrages, faits de pierres et d’engins divers notamment.

Si ces journalistes ont pu rejoindre l’aéroport de La Tontouta dans l’après-midi, il leur a fallu s’arrêter à divers barrages, dont certains tenus par des hommes munis de bâtons ou d’armes blanches. L’un d’entre eux, à Tamoa, a dit son intention de rester coûte que coûte: "On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?"

Rétablir cette circulation presse d’autant plus que la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier leurs ressortissants.

Samedi, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie estimait que 3.200 personnes étaient bloquées en l’absence de vols, soit parce qu’elles ne pouvaient pas quitter l’archipel, soit parce qu’elles ne pouvaient pas le rejoindre.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d’origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanaks, dans l’agglomération de Nouméa. Au total, "230 émeutiers ont été interpellés", selon le Haut-commissariat de la République.

"Tout ça va se terminer, croyez-moi"

Reprendre le contrôle devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l’ordre, alors que des routes sont toujours coupées, que les dégradations continuent, et que les forces de l’ordre estiment toujours le nombre d’émeutiers entre 3.000 et 5.000.

"Des écoles ont encore été détruites", de même que "des pharmacies, des centres vitaux d’approvisionnement alimentaire, des surfaces commerciales", a listé dimanche Louis Le Franc, en relevant qu’"on commence à manquer de nourriture".

LeHaut-commissaire a annoncé de nouvelles "opérations de harcèlement" par les unités d’élite de la police et de la gendarmerie (Raid et GIGN) "dès cette nuit (de dimanche à lundi, NDLR), là où il y a des points durs", dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment. "Les jours à venir, ça va s’intensifier", a-t-il prévenu, appelant ceux qui ont constitué des "groupes de protection" pour défendre leurs quartiers "à garder espoir" et "à ne pas commettre l’irréparable", qui provoquerait "un embrasement général". "Tout ça va se terminer, croyez-moi", a-t-il promis.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

La reprise de la route de l’aéroport est "vitale" au passage des convois logistiques pour réapprovisionner en médicaments et nourriture, "qui commencent à manquer", a confirmé M. Le Franc, expliquant que les surfaces commerciales devaient être sécurisées pour éviter les pillages.

Les mesures exceptionnelles de l’état d’urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h et 6h (9h et 21h à Paris), l’interdiction des rassemblements, du transport d’armes et de la vente d’alcool et le bannissement de l’application TikTok.

Dimanche, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a annoncé dans un communiqué que les collèges et lycées resteraient fermés jusqu’au 24 mai inclus sur tout le territoire, en raison "de l’ampleur des violences et des dégradations commises". Les écoles de la province Sud, de loin la plus peuplée, garderont également portes closes toute la semaine.

Agnès Coudurier et Charlotte Mannevy, avec AFP