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L’année 2024 marque les 80 ans du Débarquement de Normandie (6 juin 1944). Ici Beyrouth revient, avec l’historien Jérémie Halais, sur l’importance de cet événement majeur de la Seconde Guerre mondiale, marquant le début de la Libération de la France – et plus largement de l’Europe de l’Ouest – du joug de l’Allemagne nazie.

Juin 1944. Le monde est en guerre depuis près de cinq ans. Une grande partie du continent européen est occupée par l’Allemagne nazie. À l’Est, l’Union soviétique (ou URSS) affronte les troupes nazies depuis juin 1941 – et le début de l’opération Barbarossa. Et dans le Pacifique, les forces américaines affrontent celles du Japon.

Un premier tournant dans la guerre intervient entre 1942 et 1943 avec la bataille de Stalingrad, remportée par les Soviétiques. Un second est atteint dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, cette fois à l’Ouest du Vieux continent. Des dizaines de milliers de soldats des forces alliées (Américains, Canadiens, Anglais, Français…) effectuent un débarquement sur les côtes de Normandie. C’est la première phase de l’opération Overlord (qui est le nom de code de la bataille de Normandie).

Plus communément appelé le "Jour J", le Débarquement de Normandie est aujourd’hui considéré comme un événement majeur de la Seconde Guerre mondiale, marquant le début de la Libération de la France. Mais pourquoi une telle notoriété? Un mois avant le 80e anniversaire du Débarquement, Ici Beyrouth fait le point avec Jérémie Halais, docteur en histoire et auteur de D-Day, L’essentiel du Débarquement et de la bataille de Normandie (éditions Orep, 2024) et de Les Plages du Débarquement et les lieux de la Libération (éditions Larousse, 2024).

Comment a été décidé et préparé le Débarquement de Normandie?

La décision est prise au cours de l’année 1942-1943. Après l’entrée en guerre de l’URSS et des États-Unis, les Alliés (Royaume-Uni, URSS et États-Unis) vont se réunir autour de grandes conférences stratégiques interalliées. Ils vont mettre en place leur plan pour vaincre l’Allemagne et le Japon. Dès la première conférence à Washington (fin 1941, début 1942), ils vont décider que l’Allemagne est l’ennemi à abattre en priorité. Dès lors, l’URSS, qui se bat seule contre la Wehrmacht, va réclamer l’ouverture d’un second front en Europe occidentale. Mais les Anglais sont davantage partisans d’une stratégie périphérique en passant par la Méditerranée. C’est notamment pour cela qu’il y a eu un débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942, puis en Sicile en juillet 1943.

Et finalement, au printemps 1943, une nouvelle conférence internationale des Alliés fixe comme objectif de débarquer pour mai 1944 en France. Les Alliés demandent alors à leurs généraux de se mettre au travail. Et comme on est au milieu de l’année 1943, les possibilités techniques, notamment de l’aviation, font qu’on va tout de suite se tourner vers la Normandie. À l’issue d’une nouvelle conférence qui a lieu à l’été 1943 à Québec – la conférence Quadrant –, les Alliés décident d’un débarquement en Normandie, dans le nord-ouest de la France, en mai 1944.

Vient maintenant le temps de la préparation. Cela passe par l’acheminement de troupes – plus d’un million cinq cent mille soldats américains – en Angleterre avec des convois. Cela passe aussi par la conception de nouveaux matériels de combat, notamment de chars capables de débarquer sur la plage. Vient ensuite le lancement d’une campagne de bombardement en Europe occidentale pour détruire toutes les voies de communications allemandes afin d’empêcher l’arrivée de renforts le jour du Débarquement. Et enfin, une phase d’intoxication des Allemands à travers la mystification du Débarquement, l’idée étant de faire croire qu’il aura lieu dans plusieurs endroits, mais surtout pas en Normandie, pour que les Allemands disséminent leurs forces, en France et dans les territoires occupés d’Europe occidentale.

Pourquoi le Débarquement est-il considéré comme un tournant de la Seconde Guerre mondiale, et est-il, à ce point-là, ancré dans les mémoires et mentalités collectives?

D’un point de vue stratégique, le Débarquement de Normandie est un tournant parce qu’il marque l’ouverture d’un second front plus proche de l’ennemi. Une fois la bataille de Normandie terminée – en août 1944 –, Paris est rapidement libéré (le 25 août) et les forces alliées se dirigent tout de suite vers les frontières allemandes et les atteignent en quatre ou cinq mois. Alors que sur le front de l’Est, la guerre dure depuis 1941. C’est donc une offensive éclair qui a permis d’affaiblir l’Allemagne nazie. Elle n’est pas déterminante puisque les Russes continuent de se battre sur le front de l’Est, mais c’est l’un des grands tournants de la Seconde Guerre mondiale. Il faut quand même rappeler que le Débarquement, c’est 150.000 soldats qui débarquent en une journée sur un territoire qui est occupé depuis quatre ans, ce qui est tout à fait considérable.

Le Débarquement de Normandie a également atteint sa notoriété à travers les commémorations – ultramédiatisées notamment depuis les années 1980 – mais aussi à travers la pop culture. Le Débarquement est l’un des événements historiques les plus représentés au cinéma ou dans les séries télévisées, avec des grands succès comme Le Jour le plus long en 1962 ou Il faut sauver le soldat Ryan en 1998. Tout cela fait que cet événement s’est ancré dans les mémoires collectives.

Dans les années 1950, l’institut de sondage IFOP avait demandé aux Français quelle nation avait, pour eux, le plus contribué à la chute de l’Allemagne nazie. L’URSS arrivait alors en première position. L’IFOP a reposé la même question dans les années 1990. Et là, ce sont les États-Unis qui sont arrivés en première position.

Pourquoi parle-t-on peu de l’autre débarquement qui a eu lieu deux mois plus tard, en Provence, et qui est également d’une grande importance?

Le débarquement en Provence intervient assez tard, le 15 août. On est presque à trois mois de bataille en Normandie et juste avant la Libération de Paris. C’est donc un événement coincé entre deux gros événements historiques qui sont devenus des symboles dans la mémoire collective, mais aussi pour les politiques et les médias. Il doit y avoir aussi des différences de perception en fonction de l’endroit où on se situe. Dans le sud de la France, le Débarquement de Provence est sans doute beaucoup plus connu, enseigné et présent dans la mémoire collective.

D’un point de vue opérationnel, la progression des troupes qui ont débarqué en Provence a par ailleurs été assez rapide. Elles sont très vite remontées vers le nord de la France et effectué leur jonction en Bourgogne avec la deuxième DB (division blindée) qui avait débarqué en Normandie. Alors que le Débarquement du 6 juin 1944, c’est le premier jour d’une bataille violente qui dure trois mois, avec des armées alliées et les forces allemandes qui s’affrontent, et où beaucoup sont morts. C’est un événement beaucoup plus traumatique et les événements traumatiques s’ancrent durablement dans la mémoire collective.

Et à ma connaissance, il ne doit pas y avoir tant d’œuvres cinématographiques ou de fiction sur le débarquement en Provence, alors qu’il y en a un certain nombre sur celui de Normandie. Ce sont également des moteurs qui nourrissent la mémoire collective.

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