Le président russe Vladimir Poutine a menacé mercredi de livrer des armes à des pays tiers susceptibles de frapper les intérêts occidentaux, si l’Occident autorise l’Ukraine à frapper la Russie avec ses missiles de longue portée.

Ces propos interviennent alors que les Occidentaux commencent à autoriser les frappes en territoire russe, sous certaines conditions, avec les armes fournies à Kiev. L’Ukraine réclame ce droit depuis des mois.

Pour M. Poutine, si des missiles de longue portée nécessitant l’assistance de militaires occidentaux étaient tirés à l’avenir contre des cibles en Russie, Moscou répliquera. "Si quelqu’un considère possible de fournir de telles armes dans la zone de combats pour frapper notre territoire (…), pourquoi n’aurions-nous pas le droit de fournir nos armes du même type dans des régions du monde où seront frappées les installations sensibles des pays qui agissent ainsi contre la Russie?" a lancé M. Poutine lors d’une longue interview avec des agences de presse, dont l’AFP, en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg.

Il a, par ailleurs, assuré que son pays n’avait pas "d’ambitions impériales" et ne prévoyait pas d’attaquer l’Otan. "Ne cherchez pas ce qui n’existe pas (…) ne cherchez pas nos ambitions impériales. Elles n’existent pas", a-t-il martelé.

Très dangereux

Le président russe a aussi réaffirmé que des instructeurs militaires occidentaux "se trouvent déjà en Ukraine, et y subissent des pertes" qu’ils gardent secrètes.

La France a annoncé récemment réfléchir à l’envoi d’instructeurs militaires en Ukraine pour accélérer la formation des soldats ukrainiens et à la formation d’une coalition européenne dans ce but. D’autres pays tels que les États-Unis ont écarté l’envoi d’instructeurs et aucun État n’a fait état de la présence de ses militaires en Ukraine.

Tout au long de l’interview, le dirigeant russe a réitéré ses arguments selon lesquels la Russie était disposée à s’asseoir à la table des négociations, et que le meilleur moyen d’arrêter la guerre était que les Occidentaux "cessent de livrer des armes" à l’Ukraine. "Fournir des armes à une zone de conflit est toujours une mauvaise chose. Surtout quand elle est liée au fait que les fournisseurs ne se contentent pas de fournir des armes, mais qu’ils les contrôlent. Il s’agit là d’une mesure très grave et très dangereuse", a-t-il encore déclaré.

M. Poutine a par ailleurs refusé de chiffrer les pertes subies par l’armée russe en près de deux ans et demi de conflit, affirmant simplement qu’elles étaient "très inférieures" aux pertes ukrainiennes, avec "un rapport de un à cinq". Il a assuré que le rapport entre les pertes des deux armées était comparable à la différence entre le nombre de prisonniers faits par chaque camp. Selon lui, la Russie détient actuellement 6.465 soldats ukrainiens, contre 1.348 soldats russes aux mains des Ukrainiens.

Depuis le début de l’assaut contre l’Ukraine, en février 2022, de nombreux experts occidentaux parlent de plusieurs dizaines de milliers de soldats russes tués. La BBC et le média russe indépendant Mediazona affirment pour leur part avoir vérifié la mort d’au moins 50.000 militaires russes.

Collaborer à une enquête française

Lors de cette première conférence de presse avec des médias occidentaux depuis décembre, Vladimir Poutine a aussi assuré que la Russie était prête à collaborer à une enquête française sur la mort du journaliste de l’AFP Arman Soldin, tué le 9 mai 2023 en Ukraine, probablement par des tirs russes. "Nous sommes prêts à organiser ce travail, je ne sais pas comment cela peut se faire dans la pratique si cette personne est morte en zone de combats, mais nous ferons tout ce qui dépendra de nous", a-t-il savancé.

Le Kremlin avait précédemment indiqué que la Russie ne pouvait pas enquêter, arguant du fait que la zone où le journaliste a été tué était en territoire sous contrôle ukrainien.

Le parquet national antiterroriste en France a ouvert une enquête préliminaire pour crime de guerre afin de déterminer les circonstances du décès d’Arman Soldin et l’origine des tirs.

Arman Soldin, qui était le coordinateur vidéo de l’AFP en Ukraine, est mort à 32 ans lors d’une attaque de roquettes à Tchassiv Iar, dans le Donbass, alors qu’il couvrait la bataille particulièrement sanglante de Bakhmout.

"Aucune différence"

Se penchant sur les relations avec les États-Unis, il a estimé ne s’attendre à aucun changement, que Joe Biden ou Donald Trump soit élu en novembre à la présidence des États-Unis. "Dans l’ensemble, il n’y a aucune différence pour nous", a-t-il lancé, notant qu’il est "ridicule" de considérer Donald Trump comme un candidat plus enclin à être bienveillant à l’égard de Moscou.

M. Poutine a aussi estimé que les ennuis judiciaires de M. Trump, condamné au pénal, étaient le résultat d’une "lutte politique interne" entre démocrates et républicains avant l’élection présidentielle américaine de novembre. Il a en outre estimé que l’administration de Joe Biden était en train de "commettre une erreur après l’autre" en politique internationale et intérieure. "Avec ce qui se passe (aux États-Unis) dans le cadre de la lutte politique interne, ils sont en train de se brûler de l’intérieur, leur État, leur système politique (…) brûler à la racine leur supposé leadership dans le domaine de la démocratie", a fait remarquer M. Poutine.

"Anéantissement" de la population civile

Se penchant sur la guerre à Gaza, il a dénoncé un "anéantissement total" de la population civile. "Nous essayons (…) d’influencer autant que possible" en vue d’un règlement du conflit, "y compris sur l’aspect humanitaire", a-t-il poursuivi., estimant que le conflit Israël-Hamas était "le résultat de la politique des États-Unis, qui ont monopolisé le règlement israélo-palestinien et mis de côté tous les outils créés auparavant pour tenter collectivement de régler ces questions très complexes".

Karim Talbi, AFP