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À la suite de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron dimanche soir et la tenue d’élections législatives à deux tours les 30 juin et 7 juillet prochains, la France s’apprête à traverser une période d’incertitude profonde quant à son avenir politique. Cette décision survient dans le sillage des élections européennes, marquées par une victoire écrasante du Rassemblement national de Marine Le Pen, qui a obtenu 31,5% des voix contre 14,5% pour le camp présidentiel.

Face à ce revers, le président a opté pour la dissolution de l’Assemblée, une première dans l’histoire politique française au lendemain d’élections européennes. Quels sont les calculs du président derrière cette manœuvre audacieuse? S’agit-il d’une stratégie politique mûrement réfléchie? Comment envisage-t-il de surmonter le discrédit qui pèse désormais sur son quinquennat? Attardons-nous sur cinq scénarios possibles à la suite des élections législatives.

Il convient de rappeler dans ce contexte que sous la Ve République, soit depuis 1958, l’Assemblée nationale a été dissoute à six reprises, conformément à l’activation de l’article 12 de la Constitution. Les première et seconde dissolutions ont eu lieu sous la présidence du général de Gaulle, respectivement en 1962 et 1968, chacune se soldant par une victoire éclatante du camp gaulliste. François Mitterrand a également eu recours à cette prérogative présidentielle à deux occasions: en 1981, dissolution qui a conduit à une majorité absolue pour le Parti socialiste (PS), et en 1988, qui n’a permis d’obtenir qu’une majorité relative. La dissolution la plus récente avant celle annoncée dimanche soir remonte à 1997, sous la présidence de Jacques Chirac, laquelle s’est conclue par un échec cinglant pour le président et par une victoire de l’union de la gauche plurielle, menée par Lionel Jospin.

Premier scénario: le camp macroniste obtient une majorité absolue

Le premier scénario, bien que relativement improbable, verrait le président réussir son pari risqué et convaincre l’électorat. Il pourrait capitaliser sur la division de la Nupes (Union de la gauche) et tenter de récupérer leur vote en axant sa campagne sur le pouvoir d’achat et diverses questions sociales. Toutefois, il est peu probable que ce cas se produise, car il sera probablement incapable d’atteindre ce score sans rallier ce qu’il appelle "le champ républicain", qui englobe le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (droite gaulliste-chiraquienne modérée). Cependant, le PS privilégie plutôt l’union des gauches sous la bannière de la Nupes, notamment avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Étant donné la tripolarisation de l’électorat français entre le RN, les macronistes et la gauche, il serait difficile de voir cette hypothèse se concrétiser.

Deuxième scénario: le camp macroniste maintient une majorité relative

Un deuxième scénario, un peu plus probable, verrait le camp présidentiel macroniste maintenir sa majorité relative à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, le camp présidentiel se retrouverait dans la même situation qu’auparavant: il devrait continuer à composer avec les différents partis pour faire passer les lois à l’Assemblée nationale ou chercher à nouer des alliances pour obtenir une coalition de majorité absolue. Jusqu’à présent, les partis appartenant au "champ républicain" évoqué par Emmanuel Macron s’y sont opposés: c’est notamment le cas des Républicains (LR) ainsi que du Parti socialiste (PS) qui privilégie l’union des gauches. Toute alliance durable et la formation d’une coalition semblent donc improbables. Cependant, Renaissance (le camp présidentiel) garde espoir et assure qu’aucun candidat macroniste ne se présentera face aux candidats sortants du "champ républicain". On espère ainsi éviter que la dissolution n’apparaisse comme un coup d’épée dans l’eau.

Troisième scénario: l’union des gauches obtient une majorité

Un troisième scénario hautement improbable verrait l’union de la gauche sous la bannière de la Nupes remporter une majorité à l’Assemblée nationale, qu’elle soit relative ou absolue. Le président de la République serait alors contraint de nommer un Premier ministre issu de la Nupes, initiant ainsi une période de cohabitation. Si la majorité est relative, l’union des gauches ferait face aux mêmes difficultés que la majorité présidentielle à l’Assemblée, amplifiées par les désaccords inhérents à une cohabitation et les dissensions internes entre les différents partis de cette coalition. Si la majorité est absolue, l’union des gauches pourra faire passer confortablement les projets de lois à l’Assemblée nationale, sans pour autant résoudre les désaccords qui résultent d’une cohabitation et d’une coalition de quatre différents partis. Actuellement, la Nupes est profondément divisée et l’union des gauches apparaît très fragile. Lors des récentes élections européennes, chaque parti de la Nupes s’est présenté séparément, illustrant des divergences profondes. Toutefois, selon une information obtenue par BFMTV, une réunion entre les quatre chefs de partis de l’union de la gauche a eu lieu lundi à 16h (heure de Paris). Encore faudrait-il, dans le cas d’une union de la gauche aux élections législatives, qu’ils parviennent à défier le camp présidentiel ainsi que le Rassemblement national, ce qui est loin d’être gagné d’avance.

Quatrième scénario: le Rassemblement national obtient une majorité relative

Ce quatrième scénario, jugé probable, verrait le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen obtenir une majorité relative à l’Assemblée nationale. Le président de la République serait alors contraint de nommer comme Premier ministre une figure choisie par le RN, soit Marine Le Pen, soit Jordan Bardella, président du RN. Dans ce contexte, le RN rencontrerait les mêmes difficultés pour constituer une majorité absolue que le camp macroniste, qui ne dispose aujourd’hui que d’une majorité relative à l’Assemblée. La France entrerait alors dans une situation de blocage, marquée par l’ingouvernabilité d’une majorité parlementaire relative et une cohabitation compliquée. De plus, l’article 12 de la Constitution stipule qu’une dissolution ne peut intervenir dans un délai d’un an. Si l’écart entre la majorité relative et la majorité absolue est mince, le RN pourrait tenter de convaincre certains parlementaires de les rejoindre afin de gouverner confortablement avec une majorité absolue. En revanche, si cet écart est trop important, le RN pourrait envisager une alliance avec les LR, ce qui, selon certains analystes, pourrait provoquer une implosion au sein des LR, dont certains membres seraient tentés de céder aux sirènes du RN. Une alternative serait une alliance avec Reconquête d’Éric Zemmour. Toutefois, une telle alliance qui est dès lors improbable nécessiterait de peser les risques, car Reconquête revêt une image très extrémiste auprès de l’électorat, ce qui pourrait entraver la progression du RN dans l’opinion publique. Les alliances pourraient se former suite à l’obtention des résultats ou même avant le scrutin. D’ailleurs, une réunion entre Marion Maréchal (vice-présidente de Reconquête, ancienne membre du RN et nièce de Marine Le Pen), Marine Le Pen et Jordan Bardella a eu lieu lundi à 17h (heure de Paris) au quartier général du RN. Selon des informations obtenues par LCI, Marion Maréchal s’est entretenue à titre personnel et non en tant que représentante de son parti, peut-être pour un retour au Rassemblement national. Éric Zemmour, opposé, ne l’a appris que par le biais des médias. Que se trame-t-il derrière cette rencontre qui ne sera pas la dernière ? Seul l’avenir nous le dira…

Cinquième scénario: le Rassemblement national obtient une majorité absolue

Un cinquième scénario, jugé probable, verrait le Rassemblement national obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le président de la République serait alors contraint de nommer comme Premier ministre une figure choisie par le RN, soit Marine Le Pen, soit Jordan Bardella, instaurant ainsi une période de cohabitation. La gouvernance parlementaire du RN serait alors aisée, et les lois pourraient être adoptées confortablement au Parlement. Toutefois, les dissensions gouvernementales et les compromis entre les deux camps (macronistes et RN) se révéleraient ardus, rappelant les cohabitations tumultueuses de Mitterrand-Chirac ou de Chirac-Jospin. Dans ce cas, le président conserverait néanmoins son domaine réservé, demeurant responsable de la défense et des Affaires étrangères.

Macron laisse-t-il le RN gouverner afin de les discréditer pour 2027?

Plusieurs observateurs estiment qu’une stratégie possible du président de la République, en dissolvant l’Assemblée nationale et en appelant à des élections législatives anticipées, serait de laisser le Rassemblement national gouverner et se noyer dans les problèmes de gouvernance dans une éventuelle cohabitation. Selon ces derniers, cela pourrait constituer un cadeau empoisonné de la part du camp présidentiel, visant à discréditer le RN et à renverser la dynamique de sa progression en vue de l’élection présidentielle de 2027. Ce scénario est-il cependant crédible et pourra-t-il fonctionner? Si ce scénario est plausible et que le discrédit du RN dans l’opinion publique fonctionne, n’oublions pas que le camp macroniste fait aussi partie de cette gouvernance échouée et en subira tout autant les conséquences: il sera également à bord du bateau qui coule, limitant ainsi ses chances pour 2027.
Parallèlement, ce scénario peut ne pas se dérouler ainsi, et si Emmanuel Macron mise sa stratégie sur cette hypothèse, elle pourrait échouer, entraînant une faute de calcul irréversible. Le RN pourrait acquérir, s’il est habile, ce qui lui manque et qu’on lui reproche perpétuellement: la culture de gouverner. Il aurait alors l’occasion de prouver sa capacité à gouverner, ajoutant ainsi une pierre à son édifice. En tout état de cause, ce serait un pari très risqué pour Emmanuel Macron.