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La victoire du rassemblement national en France, loin de déjouer les pronostics électoraux, ne fait que confirmer une tendance lourde qui n’a cessé de gagner en ampleur en France et dans l’ensemble de l’Europe. les succès électoraux des droites souverainistes et nationalistes en Europe, correspondent non pas à l’affaiblissement de la dynamique européenne mais à sa reconsidération à partir du prédicat de l’Europe des nations et au détriment de celui de la fédération européenne et ses dérives bureaucratiques et anti-démocratiques. Ce vieux débat qui a accompagné la construction de l’Europe, tout au long de son parcours sinueux, entre de nouveau en vigueur après des décennies d’élaborations juridiques et de mise en œuvre des institutions européennes.

Les droites européennes loin d’opter pour le démantèlement de l’entreprise européenne, veulent la reprendre à partir d’une nouvelle dialectique des rapports entre les États de l’union et les institutions de l’Europe. Ce n’est pas un hasard que les élections européennes aient conduit à la dissolution de l’assemblée nationale en France et à des élections législatives qui vont recomposer le paysage politique français. L’exemple français fera tache d’huile et finira par inspirer des démarches symétriques partout en Europe.

Les enseignements de la nouvelle sociologie électorale vont bien au delà des alternances législatives et pointent dans la direction des mutations qui changeront le paysage politique et social dans son ensemble. Cette lame de fond n’est pas restreinte aux droites nationalistes européennes, mais elle est à l’origine des mutations politiques en gestation qu’elles catalysent. Ce nouveau rôle qui leur est assigné suppose un travail réflexif et de restructuration des élites politiques er des cadres participatifs qui dépassent leurs milieux traditionnels de recrutement. Elles sont confrontées à des gageures de culture et de sociologie politique qui les mettent au défi.

Jordan Bardella et Georgia Melonie se veulent désormais fédérateurs non seulement des droites nationalistes mais de la France et de l’Italie dans leur ensemble, et ils ne tarderont pas à induire des effets mimétiques et créer des émules partout en Europe. Ils sont désormais les chantres d’un patriotisme renouvelé qui finira par créer une dynamique de rassemblement qui va bien au delà de leurs généalogies respectives. Les élections législatives en France vont servir d’indicateur sociologique sur la poursuite de cette dynamique de restructuration en cours. L’ambivalence de la dissolution de l’assemblée nationale par le président Macron a déjà mis fin à un parcours qu’il s’est tracé et entériné la contestation de son exercice du pouvoir. La France est elle devant une cohabitation entre des irréconciliables, une Assemblée nationale émiettée et un scénario d’ingouvernabilité, les bulletins de vote nous le diront.

Le mythe de la mondialisation ponctué par la financiarisation de l’économie, la désindustrialisation, la délocalisation, la dérégulation des échanges économiques, l’affaiblissement des frontières nationales, les effets de déclassement et de marginalisation socio-professionnels et les dynamiques d’appauvrissement qu’elles ont produit, les effets délétères des migrations sauvages et leur impact sur les équilibres structurels de société (démographie, ressources économiques, cultures nationales, cohésion sociale, capacités d’accueil… ),sur les socles anthropologiques et historiques des démocraties occidentales (repères civilisationnels, cultures politiques et civiques, État de droit, république procédurale, pluralisme axiologique et consensus par recoupement). Lorsque le nombre des demandeurs d’asile atteint le chiffre de 8 millions entre 2013-2023, l’équivalent d’un nouveau pays européen, les européens posent la question de l’avenir de leur continent assailli par les migrations de désespérance générées par les faillites d’État en cascade (Moyen-Orient, Afrique principalement…. ), les soubresauts du terrorisme islamiste, et leurs instrumentalisations par les politiques de puissance de la nouvelle guerre froide et des satrapies du Golfe et d’Arabie, les grands enjeux de l’économie mondiale et leurs modulations au sein du grand balancier stratégique. Les catégories de la droite et de la gauche ne correspondent plus aux réalités des fractures sociales et aux dynamiques d’expropriation induites par les mutations socio-économiques et leurs effets de restructuration comme l’ont très bien démontré les travaux de Christophe Guilly, Serge Paugam et de l’ecole M.A.U.S.S. Le politique n’est pas en mesure de rattraper la célérité des dynamiques sociales de rupture et leurs multiples entrées.

Autrement, Les défis multiples de l’islam et de l’islam politique de par leurs principes totalisants, dérives totalitaires, communautaristes et terroristes ont fini par remettre en cause l’identité culturelle de l’Europe dans la variété de ses traditions nationales et culturelles, la prégnance des institutions politiques et de leurs récits fondateurs (La charte universelle des droits humanitaires (1948), l’État de droit, les libertés fondamentales, les liens civiques… ), et engendrer des menaces endémiques qui portent atteinte à la sécurité nationale et à celle de la communauté européenne. Les dérives d’un libertarisme non discursif et totalitaire, la déprise des élites professionnelles mondialistes et de leurs clones politiques, leur absence de conviction et leur désengagement vis à vis des grands enjeux politiques et sociaux (les dilemmes de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité/ Gesinnungsethik-Verantwortungsethik) leur manque de fermeté, et leur désinsertion de fait, expliquent largement le ras le bol généralisé et la vigueur démocratique des actes de protestation qui se sont construits au point d’intersection entre les mouvements sociaux et les verdicts électoraux successifs.

Le processus électoral en cours en France se structure sur un axe triple: 1/la volonté du président Macron de reprendre contrôle, alors que sa survie est en question, en l’absence d’une majorité parlementaire, un état de désaffection généralisé qui frise le rejet (dernier sondage 57/100 des français réclament son départ en cas d’échec électoral, 72/100 des 18-24 ans), et le discrédit du récit et du mode de gouvernance. Sa seule chance tient à un vote par défaut dont il a bénéficié tout au long de son parcours: Les électeurs finiront ils par voter en sa faveur en vue d’éviter les aléas des extrêmes et de parer à l’inexpérience hypothétique de la droite nationaliste.

2/ La gauche essaye de se recomposer face à la menace de la droite nationaliste et souverainiste alors que, comme l’a si bien dit Raphaël Glucksman, rien n’unit ses formations disparates, ni la vision ni le mode d’action. Le Parti socialiste essaye de s’imposer comme une alternative viable à la France insoumise qui se définit comme anti-nationale et anti-républicaine sans vergogne. La LFI ayant instrumentalisé l’électorat des frères musulmans en vue de subvertir la sécurité nationale et remettre en question le contrat républicain et ses méta-récits. La pertinence de la question de l’arc républicain se pose plus que jamais à l’endroit de la LFI et ses pratiques résolument anti-démocratiques. Il suffit d’assister au cirque parlementaire, d’auditionner la réthorique idéologique, et de prendre acte du nihilisme typique de l’agit-prop bolchevique.

3/ La droite nationaliste et souverainiste avec Jordan Bardella se pose en fédératrice des droites avec le ralliement d’Eric Ciotti, l’implosion du LR et son inévitable reconfiguration, en ratissant large sur les terrains socialiste, macroniste, républicain, et en créant une nouvelle dynamique intergénérationnelle. Le charisme de Jordan Bardella et la lame de fond porteuse finiront ils par se traduire dans les bulletins de vote? La dynamique de rassemblement qu’il a lancée pourrait l’imposer comme acteur incontournable et rassembleur des droites nationalistes et centristes pourvu qu’il se donne les moyens. Contrairement à des conjectures non étayées, la droite souverainiste démontre son aptitude au rassemblement autour d’un programme de gouvernement consensuel. Néanmoins, cette dynamique gagnerait à se dépêtrer des liens avec Poutine et s’inscrire pleinement dans la mouvance transatlantique et ses engagements sécuritaires et stratégiques en Ukraine et partout ailleurs (Afrique, Moyen Orient).

Le tour de force de Jordan Bardella s’inscrit, d’ores et déjà, dans une posture de rassemblement national et de repères civilisationnels et politiques saillants (identité nationale et civilisationnelle hautement affichée, laïcité, justice sociale…), et d’alternance au pouvoir. C’est sa cohérence et sa détermination qui vont promouvoir ses chances de réussite, alors que les incohérences multipliées du président Macron lui ont coûté un échec qui risque d’être fatal. Les aléas électoraux ne peuvent jamais être écartés, pas plus que les retournements causés par des mutations de paradigmes ou d’événements politiques majeurs. Nous sommes face à une dynamique de recomposition qui changera le paysage politique français de manière irrémissible, où les enjeux de constitutionnalité, de paix civile et de transition démocratique occupent les devants de la scène.