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Depuis l’annonce, début mars, par le président US, Joe Biden, de la construction d’un quai flottant au large de Gaza, ce projet fait parler de lui. Le but: acheminer l’aide humanitaire vers l’enclave, après la fermeture des points de passage terrestres par l’armée israélienne. Outre l’enjeu humanitaire, quelles visées stratégiques cette initiative servirait-elle?

Une jetée flottante construite au large de Gaza par l’armée américaine achemine, depuis le 17 mai, l’aide vers Gaza. L’enclave est en proie à un désastre humanitaire depuis le 7 octobre.

Ayant coûté 320 millions de dollars, ce port flottant est très vulnérable face aux intempéries. Détruit à deux reprises par la tempête puis reconstruit, il a été démantelé, fin juin, et remorqué au port Ashdod en Israël. Ce déplacement, qui n’est pas le premier, vise à "éviter d’éventuels dommages structurels" en raison de la haute mer, selon la secrétaire de presse adjointe du Pentagone, Sabrina Singh.

Il est donc légitime de se poser des questions sur d’éventuels objectifs derrière une telle structure dite "temporaire".

Une communication stratégique

Selon le général Dominique Trinquand, spécialiste des relations internationales, cette plateforme maritime constitue un "élément de communication américain pour marquer le soutien aux Palestiniens dans le domaine humanitaire".

"Les États-Unis voudraient montrer qu’ils font quelque chose au profit des Gazaouis malgré les réticences israéliennes qui entravent la livraison d’aide par voie terrestre", explique-t-il à Ici Beyrouth.

Sabrina Singh, a déclaré, fin juin, que "plus de 8.831 tonnes d’aide humanitaire ont été livrées depuis que la jetée flottante temporaire est devenue opérationnelle le 17 mai dernier". Elle a ainsi estimé que l’opération est un "grand succès".

C’est ce que le général à la retraite, Maroun Hitti, appelle "communication stratégique", dans le sens où ce projet constitue "un argument pour l’administration Biden contre ses détracteurs qui lui reprochent le soutien américain à Israël". Il s’agirait d’une "preuve concrète montrant que les États-Unis viennent effectivement en aide aux Gazaouis, à la suite de la fermeture par Israël de tous les passages terrestres vers Gaza, en acheminant l’approvisionnement directement vers l’enclave sans passer par le territoire israélien", poursuit le général Hitti .

D’ailleurs, il fait remarquer que cette technique de port artificiel transportable en temps de crise n’est pas neuve. Il y a 80 ans, des ingénieurs anglo-américains avaient mis en place des structures baptisées Mulberry sur les côtes de Normandie, en 1944, pour assurer le soutien aux forces à terre lors du débarquement des alliés.

Un double objectif politique, pour Gaza et pour la région

"Il n’y a pas de guerre sans but politique et, inversement, les objectifs politiques sont toujours atteints par des moyens guerriers", affirme le général Hitti à Ici Beyrouth.

L’intervention américaine par le biais du port flottant s’inscrirait, selon lui, dans le cadre d’un troisième objectif non déclaré de la guerre livrée par Israël à Gaza. Après la libération des otages et l’éradication de l’infrastructure militaire du Hamas, Tel-Aviv et son allié américain viseraient à installer une nouvelle autorité politique à Gaza. Ils chercheraient à "faire passer l’administration de la bande du Hamas à n’importe quelle autre autorité, qu’elle soit onusienne ou palestinienne et israélienne combinée, peu importe".

L’approvisionnement du peuple gazaoui a actuellement une source unique: le binôme États-Unis-Israël. Le premier qui achemine l’aide par voie maritime à travers les docks flottants et le second qui assure sa distribution par voie terrestre.

Présentation du système de port temporaire JLOTS de l’armée américaine – AFP / AFP / NALINI LEPETIT-CHELLA

Ainsi, "ces deux États deviennent pourvoyeurs de sécurité, à la fois économique et physique, discréditant automatiquement le Hamas, qui sera, de facto, remplacé par une autre autorité", avance le général Hitti.

D’après lui, "l’Occident veut, à présent, modifier le rapport de force", à la suite de l’attaque du Hamas, soutenu par l’Iran, contre Israël.

"L’épreuve de force dans cette guerre se passe entre Washington et Téhéran", poursuit-il, ce qui amène au second objectif, régional cette fois, celui de "réaliser la normalisation d’Israël avec les pays arabes, dans la continuité des accords d’Abraham de 2020".

Ceci reviendrait à riposter à l’Iran, en lui prouvant que sa stratégie – l’attaque du 7 octobre – pour contrer le processus de normalisation entre Riyad et Tel-Aviv a échoué.

Dans ce cadre, l’administration Biden est sur le point de finaliser un traité de défense commune entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, contre l’Iran. Une offre américaine "alléchante", selon les termes du général Hitti, en échange du développement de relations diplomatiques israélo-saoudiennes.

"Reste à savoir si ce pas sera franchi avant ou après la proclamation d’un État palestinien, car tant que ce peuple n’aura pas obtenu ses droits, il y aura toujours une résistance palestinienne", a-t-il conclu.

Une entreprise controversée

Loin de faire l’unanimité, l’initiative américaine du quai flottant fait l’objet de plusieurs critiques, à la fois à Gaza et aux États-Unis.

Si les Nations unies avaient accueilli "tout effort visant à garantir l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza", elles avaient insisté sur le fait que la jetée est "destinée à compléter les points de passage terrestres existants", mais "pas à (les) remplacer".

Pour leur part, les organisations humanitaires ont reproché à ce projet ses résultats insuffisants, au vu des besoins "immenses" sur le terrain.

Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait déjà souligné, en mai dernier, que l’aide humanitaire "ne peut pas et ne devrait pas dépendre d’une jetée flottante", soulevant un autre problème central, celui du transport. Que l’aide soit livrée "par la mer ou par la route, sans carburant elle n’arrivera pas aux personnes qui en ont besoin", avait-il souligné.

D’autre part, à Washington, Mike Rogers, président de la commission des forces armées de la Chambre des représentants, aurait exhorté, le 21 juin, l’administration US "à mettre immédiatement fin à cette opération ratée", appelant "à envisager d’autres moyens terrestres et aériens d’acheminement de l’aide humanitaire".

En date du 23 juin, la jetée n’a été utilisable que pendant 12 jours depuis le début de ses opérations, le 17 mai.

Pour le moment, Sabrina Singh déclare ne pas être en mesure de préciser "une date quant à la réinstallation de la jetée".

Affaire à suivre…

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