Radioscopies électorales 

 
Le déroulement de trois élections consécutives nous a instruits sur les enjeux politiques de deux grandes démocraties européennes et sur les parodies démocratiques de la dictature islamique en Iran. Les élections françaises ont donné lieu à un spectacle d’émiettement parlementaire qui rend difficile le gouvernement d’une France ayant délibérément institué des blocages politiques qui empêchent le fonctionnement des institutions, scellent des clivages de société et entérinent les anathèmes idéologiques qui ont empoisonné la vie politique française pendant si longtemps et rendu impossible l’aspiration à une vie démocratique apaisée.
La transition électorale au Royaume-Uni s’est effectuée sous de meilleurs auspices dans la mesure où la tonalité idéologique a cédé au profit d’une alternance pragmatique et d’un centre gauche non polémique, consensuel, qui a entièrement rompu avec le bolchevisme anachronique et l’antisémitisme du parti travailliste sous Jeremy Corbin, tout en sachant que la gauche fait toujours l’impasse sur la question du communautarisme islamiste. Quant aux élections en Iran, elles ressortent à une manœuvre bien ancrée dans le répertoire du régime iranien: la manipulation des alternances électorales au gré des priorités de la politique étrangère. L’élection d’un homme d’appareil correspond à une volonté de détente sur le plan international et de desserrement des étaux sur la scène domestique, sans pour autant initier des retournements majeurs ou un changement de narrativité.
Les élections françaises ont reconduit des clivages historiques, ressuscité le mythe d’un Front de gauche, discrédité l’idée d’un centre fédérateur simulé par la présidence d’Emmanuel Macron, mis en relief les difficultés de la droite républicaine à se réinventer à partir d’un nouveau schéma qui transcende les clivages historiques des trois droites légitimiste, libérale et bonapartiste (René Rémond), et la nécessité de poursuivre le travail de désenclavement et de normalisation de la droite nationaliste surtout que son positionnement politique et idéologique et son score électoral attestent sa forte représentativité et son adhésion au soi-disant arc républicain qui est à revoir plus que jamais. L’hypothétique Front de gauche n’est jusque-là qu’une alliance de circonstances qui a surfé sur la désunion des droites, l’ostracisme vis-à-vis de la droite souverainiste et la volonté du président Macron de déjouer sa déroute électorale et d’en réduire l’impact. Autrement, le programme commun du Front populaire repose sur un socle fragile entre la gauche républicaine et la gauche antinationale et antirépublicaine (communautariste et islamiste) représentée par La France insoumise.

L’euphorie du moment aura du mal à estomper les différends idéologiques et politiques surtout que La France insoumise n’a pas tardé à réclamer sa mainmise et sa volonté de confisquer le programme politique, quels que soient les simulacres d’unité projetés sur le devant de la scène politique. Indépendamment du fait que son programme économique et sa politique migratoire et sécuritaire soient révélateurs de choix idéologiques qui n’ont aucune pertinence en matière de politique publique et de rationalité économique (les impensés de la gauche, l’immigration, l’insécurité, la croissance économique, le déclassement des classes moyennes, la logomachie chaviste et anachronique du programme du NFP, l’obsolescence du paradigme économique). Le président de la République, de son côté, est désormais pris à son propre piège et se trouve acculé à trois choix, celui d’un cabinet de cohabitation avec le Front de gauche et ses composantes hétéroclites qui remettent en question sa politique des retraites, sa loi sur l’immigration, sa politique économique et ses choix stratégiques en matière de défense et de sécurité, celui d’un Front républicain invraisemblable ratissant large entre l’hypothétique Front de gauche, la droite classique et ses alliés du Modem, d’Horizons…, ou celui d’un cabinet éventuel de technocrates qui émergerait au cœur d’une scène politique française éclatée, polarisée et en pleine effervescence.
Nous sommes bien loin de l’hyperprésidentialisme et du bonapartisme césariste des sept derrières années, avec une Assemblée nationale fragmentée, une instabilité ministérielle structurelle et un paysage politique fracturé qui porte atteinte à la stature politique de la France sur la scène internationale. Les fonctions régaliennes du chef de l’État sont fortement compromises et son aura internationale n’en sortira pas indemne. La rupture et l’alliance décomplexée d’Eric Ciotti avec le RN, la régression électorale du LR, le diagnostic des ténors du LR, la démarche inclusive du RN, ainsi que les ouvertures de Jordan Bardella, rendent inévitable la reconstruction d’un nouveau centre droit (orléaniste et libéral) qui remédie à la débâcle de 2017, à la faillite du macronisme et à la nécessité d’une reconfiguration institutionnelle et idéologique qui aille au-delà des aléas politiques et électoraux de circonstances.
Autant de questions qui se posent en vue d’établir les cartes de navigation des trois années à venir. Il faudrait retenir également les différends idéologiques et stratégiques qui ponctuent les scènes politiques nationale et internationale et leurs incidences conflictuelles sur le théâtre politique français. Le nouveau Front populaire et le reste de la gauche sont loin de se mettre en accord sur des enjeux politiques, stratégiques et sécuritaires et les conflits ne tarderont pas à émerger. Le Rassemblement national a tout intérêt à réaffirmer ses professions de foi transatlantiques, ses engagements républicains, revoir son logiciel économique, se démarquer de Poutine et de la politique néo-impériale de la Russie, en plus de poursuivre son défrichement des zones électorales afin de déjouer la politique d’ostracisation et d’exclusion de l’arc républicain. Dix millions de Français qui se font rejeter de la communauté nationale par diktat idéologique n’est pas le moindre des paradoxes de la démocratie française.
Les élections en Angleterre se présentent sous un meilleur jour vu que l’alternance s’effectue sur la base d’un consensus idéologique et institutionnel qui ne remet pas en question la légitimité des acteurs politiques, les orientations politiques et stratégiques du Royaume Uni et la mise en œuvre d’une politique de réformes économiques et sociales sans accentuations idéologiques de nature conflictuelle. Les ambiguïtés de la question migratoire et du communautarisme islamiste demeurent le talon d’Achille de la gauche, comme partout ailleurs en Europe et aux USA. Contrairement à la France où la gauche extrême semble dicter la marche d’une gauche disparate et aux consensus idéologiques et stratégiques aléatoires. Keir Stramer rejoint l’alliance transatlantique et réassume le rôle pilote du Royaume-Uni sans aucune réserve idéologique ou politique. Sinon, l’ascension spectaculaire de Nigel Farage et du parti souverainiste (Reform UK) qui a mis en œuvre le Brexit avec 14/100 du vote national, signale le retour en force d’un courant politique qui a fait ses preuves, qui a pris la mesure du communautarisme islamiste et de ses défis, et qui est à même de remodeler et de fédérer l’opposition conservatrice dans un proche avenir.
Le cas de l’Iran s’inscrit dans le cadre d’une manœuvre de diversion d’un régime totalitaire qui cherche à se défaire de ses impasses alors qu’il n’est pas enclin à effectuer des réformes internes et à mettre fin à une politique expansionniste en pleine action. Le nouveau président, de par son itinéraire personnel, offre le profil requis pour une politique de détente à l’extérieur et de décrispation à l’intérieur, mais en réalité sa marge de manœuvre est, d’ores et déjà, circonscrite. Le régime poursuit sa politique de verrouillage et de pérennisation des conflits régionaux avec une chorégraphie conventionnelle de pseudo-normalisation. Néanmoins, le nouveau président Massoud Pezeshkian n’a pas la stature et l’aura de Mohammed Khatami et de Hassan Rouhani et surtout leur autonomie morale par rapport à la figure vicariale du «rahbar» (le guide de la révolution islamique).
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