Le vendredi 27 septembre, Israël a mené la plus vaste opération militaire contre le Hezbollah depuis l’ouverture du front sud, le 8 octobre 2023, décapitant ce groupe. Cette opération a tué le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et éliminé de nombreux commandants de la formation pro-iranienne.

Cette offensive d’envergure, méticuleusement orchestrée au cœur du bastion du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, résulte sans doute d’une coordination inattendue entre deux figures majeures du gouvernement israélien actuel: le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et le ministre de la Défense, Yoav Gallant. Tout laissait pourtant présager que ces deux hommes, en conflit depuis la formation du gouvernement, ne parviendraient jamais à collaborer et à s’entendre sur une même tactique dans leur guerre contre le Liban. Les tensions étaient vives entre les deux.

Depuis plusieurs mois, ces deux personnalités éminentes de l’Exécutif israélien se livraient à un bras de fer acharné dans les coulisses du pouvoir. Loin des regards publics, Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant étaient engagés dans une lutte d’influence silencieuse mais implacable, chacun cherchant à imposer sa vision sur la stratégie militaire à adopter face au Hamas à Gaza et au Hezbollah au Liban. Ce climat de rivalité exacerbée a profondément marqué les décisions gouvernementales, rendant leur récente coopération d’autant plus surprenante. Retour sur une relation houleuse et tendue, où les intérêts personnels et les désaccords ont souvent pris le pas sur l’unité nationale.

Une série de confrontations

Le bras de fer entre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, au sujet de la guerre à Gaza constitue l’un des épisodes les plus marquants d’une série de confrontations ayant profondément ébranlé la cohésion gouvernementale israélienne au cours des 18 derniers mois.

Bien que Gallant soit intransigeant sur les questions de sécurité, notamment face au Hamas, il n’a pas hésité à critiquer publiquement l’objectif de "victoire totale" maintes fois prôné par Netanyahou, le qualifiant de "chimère". Une des disputes les plus vives entre les deux hommes s’est d’ailleurs déroulée lors d’une réunion nocturne du cabinet de sécurité israélien, les 29 et 30 août derniers.

Selon plusieurs rapports relayés par CNN, ils s’étaient violemment affrontés sur la question de l’évacuation, par l’armée israélienne, du corridor de Philadelphie, une zone hautement stratégique le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, dans le cadre d’un possible accord de cessez-le-feu et de libération des otages.

Cependant, le contexte politique israélien, marqué par des divisions internes, avait contraint Netanyahou et Gallant à maintenir une collaboration tendue.

L’année précédente déjà, lors des manifestations contre la réforme de la Cour suprême initiée par Netanyahou, Gallant s’y était opposé, estimant que ce projet menaçait la sécurité nationale en exacerbant les divisions au sein de la société israélienne. Le Premier ministre l’avait alors révoqué, mais avait rapidement annulé cette décision sous la pression de manifestations massives.

Une coalition à la composition complexe

Le maintien de Gallant au sein du gouvernement découle également de la composition complexe de la coalition, soutenue par deux partis religieux nationalistes, dirigés par Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Leur influence rendrait politiquement risqué le départ de Gallant, tout en accentuant les tensions avec ces ministres, qui le jugent trop clément envers les Palestiniens, et particulièrement envers le Hamas.

Le dernier épisode décisif de la confrontation entre Netanyahou et Gallant concerne la situation au Liban.

Il y a une dizaine de jours, des médias israéliens avaient rapporté que Netanyahou envisagerait de limoger Gallant. Plusieurs démentis avaient été publiés, sans pour autant dissiper les rumeurs, enrichies de détails qui ne manquaient de précisions.

Le désaccord porterait sur une offensive de grande envergure au Liban. D’après des sources proches du ministre de la Défense, Gallant se serait montré réticent à l’idée d’une opération terrestre massive, en particulier dans la capitale libanaise. Il aurait plutôt plaidé pour des frappes précises et ciblées visant à affaiblir les capacités humaines et opérationnelles du Hezbollah, menées simultanément avec des discussions pour un règlement politique. En résumé, il s’opposait fermement à une guerre totale, dont l’imminence semble désormais inévitable. Le nom de Gideon Saar, député de centre-droit et ancien ministre de la Justice, avait même fuité comme possible successeur de Gallant. Toutefois, après l’explosion des appareils de transmission piégés du Hezbollah, Saar s’était désisté, estimant qu’un tel changement à la tête de la Défense serait trop délicat dans ce contexte explosif.

Malgré les efforts soutenus de Washington, Londres, Paris et d’autres puissances pour mettre un terme aux hostilités entre Israël et le Hezbollah, ces initiatives avaient rapidement été contrariées par la détermination inébranlable du Premier ministre israélien.

Changement de cap

Même si les puissances occidentales trouvaient en Yoav Gallant un interlocuteur plus réceptif et ouvert aux demandes de la Maison Blanche, de Downing Street et du Palais de l’Élysée, une décision politique unifiée au sein du gouvernement israélien aurait pris le dessus sur les négociations internationales pour un règlement politique.

Netanyahou et Gallant auraient trouvé un terrain d’entente concernant la stratégie à adopter au Liban, et auraient obtenu le soutien tacite de Washington, grâce à un silence diplomatique révélateur.

La stratégie envisagée consisterait en une intensification massive des frappes aériennes sur le Liban-Sud, la vallée de la Bekaa, la banlieue sud de Beyrouth, ainsi que d’autres régions stratégiques, avec une possible invasion terrestre en perspective.

Ce changement de cap de la part du ministre de la Défense est illustré par son rôle central lors des frappes successives ayant conduit à la mort de Hassan Nasrallah: c’est Gallant lui-même qui supervisait les opérations depuis la salle de crise à Tel-Aviv, en étroite coordination avec le Premier ministre, qui se trouvait alors à New York.

La décision de cet assassinat aurait été prise avec l’aval du cabinet de guerre – dont font partie Netanyahou et Gallant – plusieurs jours à l’avance, selon des informations concordantes relayées par plusieurs médias internationaux.

Malgré quelques différends persistants, Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant avaient réussi à trouver un terrain d’entente sur la politique à suivre par rapport au Liban.

Selon des informations rapportées par le Times of Israel, le ministre de la Défense avait été écarté d’au moins trois consultations sécuritaires restreintes que le Premier ministre avait tenues récemment avec certains ministres clés, alors que les combats avec le Hezbollah s’intensifiaient. Toutefois, Gallant semble désormais aussi résolu à en finir avec le Hezbollah. Son soutien inébranlable à la campagne de frappes continues visant le bastion de cette formation dans la banlieue sud de Beyrouth, laquelle s’est intensifiée depuis vendredi soir, illustre cette nouvelle ligne dure. Il marque surtout un alignement stratégique avec Netanyahou sur la gestion du conflit avec le Hezbollah.

En dépit des tensions, des désaccords et des manœuvres politiques complexes, la relation entre Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant incarne, à bien des égards, les paradoxes d’une nation en guerre. Ce qui semblait être un conflit personnel irréconciliable s’est progressivement transformé en une alliance de circonstances, forgée par les impératifs d’une stratégie militaire implacable.

Si l’histoire juge souvent les dirigeants à l’aune de leurs victoires ou de leurs échecs, il est encore trop tôt pour savoir si cette entente, construite sur le feu des combats et les débris des divergences, sera durable ou si elle se consumera à mesure que la poussière des bombardements se dissipera.

Ce qui est certain, cependant, c’est que dans l’ombre des frappes aériennes, au-delà des salles de crise et des négociations internationales, une autre bataille se joue: celle de la confiance et du pouvoir.

Dans ce théâtre d’ombres, Israël et ses dirigeants semblent écrire un chapitre où chaque décision, aussi calculée soit-elle, porte en elle une lourdeur sans précédent.

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