Alors que la Turquie souffrait d’une isolation diplomatique croissante, le pays se remet en selle et aspire à jouer un rôle de médiateur dans le règlement du conflit russo-ukrainien. Un sommet diplomatique a en effet eu lieu à Antalya, durant lequel les ministres des Affaires étrangères russes et ukrainiens ont entretenu des contacts directs en vue de régler la crise. En parallèle, le pays multiplie les initiatives pour se réconcilier avec les puissances régionales telles que l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et Israël. Ce revirement diplomatique, qui rappelle la politique étrangère de " bon voisinage " entretenue par Ankara dans les années 2000, pourrait être expliqué de même par la crise économique aiguë que connait le pays et le besoin d’attirer des capitaux étrangers. Principal pourvoyeur d’hydrocarbures et de céréales ainsi que de touristes, la Russie a constitué un partenaire stratégique clef d’Ankara ces dernières années, notamment à travers la construction d’une centrale nucléaire et la vente de missiles S-400. Les efforts de médiation diplomatique actuelle et de rapprochement avec l’Occident s’inscrivent donc dans une tentative de rééquilibrage de la politique étrangère turque vers une position plus modérée susceptible de restaurer la crédibilité et l’influence de la Turquie à l’international. 

Le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu donne une conférence de presse durant le sommet d’Antalya, qui a réuni les responsables ukrainiens et russes pour la première fois depuis le début de la guerre. (AFP)

Même sans résultat probant, la rencontre des ministres russe et ukrainien des Affaires étrangères sur son sol est de bon augure pour la Turquie, qui revient sur la scène internationale en multipliant les initiatives diplomatiques.

L’entretien entre Serguei Lavrov et Dmytro Kuleba jeudi à Antalya (sud), le premier à ce niveau depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février, n’a débouché sur aucune avancée concrète, mais Ankara a parié qu’il en entraînerait d’autres.

Outre le Forum diplomatique à Antalya, où s’est invité in extremis vendredi le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, le président turc Recep Tayyip Erdogan a reçu cette semaine son homologue israélien Isaac Herzog, mettant fin à une décennie de vives tensions entre les deux États, puis son allié azerbaïdjanais Ilham Aliev.

Il doit encore recevoir dimanche son voisin, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et, lundi, le chancelier allemand Olaf Scholz pour la première fois.

" La Turquie n’a pas été aussi proactive sur le plan diplomatique depuis les années 2000 ", note Jana Jabbour, enseignante à Sciences Po, qui souligne qu’Ankara s’efforce depuis des mois d’apaiser ses relations avec d’autres puissances régionales comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

" Depuis 2020, la Turquie a pris acte de son isolement régional ; son soutien aux Frères musulmans et aux groupes issus de l’islam politique, aujourd’hui en perte de vitesse, ainsi que sa politique étrangère agressive et interventionniste qui s’est traduite par un recours de plus en plus fréquent au +hard power+ (en Syrie, en Libye, au Nagorny-Karabakh) lui ont fait perdre ses amis et alliés ", détaille la politologue.

Depuis le début de la crise en Ukraine, Ankara n’a ainsi eu de cesse de jouer les " facilitateurs " entre Kiev et Moscou, veillant à conserver de bonnes relations avec les deux capitales.

L’implication dans ce dossier de la Turquie – très dépendante du gaz et du blé de ses deux voisins en mer Noire – est " une manière de se réaffirmer comme membre de l’Otan, notamment après l’achat du système de missiles S-400 à la Russie ", relève Sümbül Kaya, de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) à Paris.

Ankara s’était aussi impliqué activement dans la gestion de l’aéroport de Kaboul après l’arrivée au pouvoir des talibans en août, un autre dossier qui a permis de " repositionner la Turquie sur son rôle d’acteur régional ", estime la chercheuse.

" La Turquie est de retour dans le débat transatlantique. Elle redevient un partenaire possible en matière de sécurité, et ce, malgré l’ambivalence d’Erdogan ", abonde Asli Aydintasbas, chercheuse au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Présent au forum d’Antalya, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a jugé samedi qu’Ankara avait " un rôle très important à jouer (…) avec la guerre en Ukraine ".

" La Turquie peut devenir un pays beaucoup plus influent, c’est pourquoi nous devons renforcer nos liens ", a-t-il dit après avoir rappelé les tensions qui ont opposé Ankara et Bruxelles jusqu’à récemment.

Au Moyen-Orient, l’activisme diplomatique d’Ankara, qui cherche à apaiser ses relations avec les Émirats arabes unis, Israël et l’Arabie saoudite notamment, trahit aussi son besoin de capitaux étrangers, souligne les experts.

D’autant que la guerre en Ukraine pourrait fragiliser davantage son économie, déjà mise à mal par la chute de la livre turque et l’hyperinflation qu’elle a entraînée.

" C’est sans doute la situation économique qui a conduit à renouer le dialogue " avec ces pays, estime Sümbül Kaya.

" La Turquie se lie d’amitié avec tout le monde en ce moment (…) Erdogan espère récolter des dollars pour couvrir le déficit croissant du compte courant, creusé par des importations énergétiques et alimentaires toujours plus coûteuses ", a également relevé sur Twitter l’économiste Timothy Ash, spécialiste de la Turquie.

Ces efforts de normalisation – et ceux conduits sur le dossier ukrainien – ne suffisent toutefois pas pour l’heure à redorer le blason turc auprès des Occidentaux, juge Jana Jabbour.

" Tant que le pouvoir turc continuera d’être incarné par le président Erdogan, qui est perçu par les chancelleries occidentales comme un leader autoritaire, agressif et imprévisible, il serait irréaliste de s’attendre à un apaisement des relations turco-européennes et à une amélioration de l’image de la Turquie en Occident ", affirme-t-elle.

Avec AFP

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