Suite au classement de Damas et de ses alentours en « zones sûres » par les autorités danoises, le gouvernement a retiré la protection subsidiaire dont bénéficiaient jusqu’alors de nombreux Syriens. Human Rights Watch dénonce une mesure abusive, rappelant que les arrestations arbitraires et les cas de torture sont largement documentés.


La photo d’Asmaa al-Natour, réfugiée syrienne d’une cinquantaine d’années originaire de la banlieue de Damas, faisant ses adieux à sa voisine danoise, est devenue virale sur les réseaux sociaux. Les autorités danoises la somment désormais de choisir entre la vie dans un camp ou un retour volontaire en Syrie. Si Copenhague considère Damas et ses environs comme une " zone sûre ", le contexte actuel tend à prouver le contraire, comme l’a récemment démontré Human Rights Watch, dans une étude publiée fin octobre, documentant de nombreux cas de torture de réfugiés à leur retour en Syrie. La chercheuse Nadia Hardman (HRW), qui s’est rendue début novembre au Danemark, explique que " s’il n’y a en effet pas de bombardements ni d’attaques d’envergure dans ces zones, les dix ans de crimes du régime Assad ont démontré que la violence était systémique et que les arrestations arbitraires étaient monnaie courante ".

Contactée par Ici Beyrouth, l’ambassade du Danemark à Beyrouth – responsable des affaires syriennes – explique que " l’approche du gouvernement danois vise à fournir une protection à ceux qui en ont besoin ". Elle ajoute que " le séjour des réfugiés au Danemark est temporaire et qu’ils doivent rentrer lorsque les conditions le permettent ; cela s’applique à tout le monde, y compris les personnes originaires de Syrie ". En outre, si la diplomatie danoise se défend de faire le jeu du régime syrien, elle revendique sa fermeté et indique " travailler avec ses plus proches alliés afin de créer les conditions favorables permettant de mettre en place les retours forcés en Syrie au plus vite ".

 

Une situation de détresse
Concrètement, l’Office des étrangers a retiré la protection subsidiaire aux personnes concernées, qui ne sont plus dès lors reconnues comme réfugiées sur le sol danois. " Le gouvernement utilise ce prétexte pour justifier sa nouvelle politique de retours dits volontaires. Les personnes concernées sont placées dans une situation de détresse : soit elles restent au Danemark dans un centre fermé, soit elles rentrent en Syrie. Il n’y a donc pas de retours forcés, mais c’est une pression indirecte ", explique Nadia Hardman. La mesure danoise s’apparente plus à un coup politique puisqu’au final, seule une poignée de réfugiés sont concernés par cette suspension de statut, explique HRW, et leur détention en centre fermé représente un coût important pour le Danemark. " La réfugiée syrienne que j’ai rencontrée parle danois, elle a un travail, elle paie ses taxes, sa famille est intégrée et, malgré cela, elle a perdu son statut : c’est l’incompréhension et la peur qui règnent à présent ", relate la chercheuse. Pour l’heure, les Syriens concernés peuvent introduire une nouvelle demande pour obtenir le statut de réfugiés dans un pays tiers, en Europe, sans garantie de l’obtenir.

Un gain politique pour Assad

Le Danemark a toujours affiché une ligne clairement hostile à l’accueil des réfugiés, en respectant les accords européens au minimum. La politique migratoire danoise actuelle épouse paradoxalement le narratif du régime syrien, prétendant accueillir favorablement les réfugiés, mais en expliquant en même temps que la Syrie est sûre. Le 16 novembre dernier, une conférence parrainée par la Russie, concernant le retour des Syriens, a eu lieu à Damas ; une réunion ministérielle s’apparentant davantage à une opération de communication. Par ailleurs, au cours des dernières semaines, plusieurs signes émanant d’institutions et de gouvernements divers ont montré une tentative de normalisation avec le régime syrien.
" Nous avons documenté le cas d’un syrien de 31 ans, rentré volontairement de Jordanie à Deraa, sa ville natale. Cet homme a été enlevé à un barrage par les services du régime. Trois mois plus tard, il est sorti de prison, après avoir été torturé avec des câbles électriques. Aucun motif d’arrestation ne lui a été notifié ", explique Nadia Hardman, pour qui la Syrie n’est pas un pays sûr dans le contexte actuel.
Pour le juriste et opposant d’origine syrienne Firas Kontar, cette mesure n’a rien de surprenant. " Déjà à l’époque, une loi permettant de confisquer les bijoux des réfugiés pour financer leur installation avait été approuvée par le Danemark. La tendance actuelle vise en réalité à les dissuader de venir en Europe. Les sociaux-démocrates danois penchent vers le populisme de l’extrême droite. Le récit de la stabilité est avancé pour faire en sorte qu’il n’y ait pas d’autres arrivées ", selon M. Kontar.
" Il est utile de rappeler que Bachar el-Assad a provoqué la crise des réfugiés dans un objectif démographique, en bombardant massivement les zones peuplées de sunnites pour faire fuir cette population. Il tire profit de ces retours forcés du Danemark, car il peut ainsi semer la terreur parmi les réfugiés établis en Europe. Beaucoup avaient commencé à témoigner dans les médias, à saisir la justice pour la mort de proches. Je crains que désormais ils y réfléchissent à deux fois ". Pour l’heure, HRW appelle Copenhague à revenir sur cette mesure inédite, qui n’apporte aucun bénéfice notable au pays scandinave.