La Turquie, qui cherche à renouer avec Ryad dont elle a besoin pour soutenir son économie en difficulté, a décidé d’en finir avec l’affaire Jamal Khashoggi, journaliste saoudien assassiné et démembré en 2018 à Istanbul.

Transfert du dossier
Le procureur du tribunal d’Istanbul devant lequel se tenait depuis 2020 le procès par contumace de 26 ressortissants saoudiens accusés de ce crime particulièrement odieux a demandé jeudi à " clore " le dossier et à le transférer à l’Arabie saoudite. Une demande aussitôt qualifiée de " terrible nouvelle " par l’association Reporters sans frontières à Istanbul, qui assure qu’elle répond à une requête de l’Arabie saoudite " déposée le 13 mars dernier ".Selon l’agence de presse privée DHA, le procureur a défendu sa position en faisant valoir que " l’affaire traîne parce que les ordres de la cour ne peuvent être exécutés, les accusés étant des ressortissants étrangers ". Sur Twitter, la fiancée de M. Khashoggi, Hatice Cengiz, a souligné que le procureur suivait ainsi les autorités saoudiennes: " A l’audience d’aujourd’hui, le procureur a demandé, conformément à la demande saoudienne, le transfert du dossier en Arabie Saoudite et sa finalisation en Turquie ", a-t-elle écrit. Dans un entretien récent à l’AFP, Mme Cengiz exhortait la Turquie, son pays, à " insister pour que justice soit faite " et à ne pas renoncer au profit d’un rapprochement avec Ryad. Le procès de 26 ressortissants saoudiens accusés par la Turquie d’avoir assassiné Jamal Khashoggi s’était ouvert devant le tribunal d’Istanbul en juillet 2020, en l’absence des intéressés. La prochaine audience reste pour l’heure programmée pour le 7 avril.

Realpolitik face à l’inflation

Le journaliste saoudien de 59 ans, détracteur du pouvoir de la famille royale saoudienne et collaborateur du Washington Post, a été assassiné et son corps découpé le 2 octobre 2018 à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, où il s’était rendu pour obtenir un document, selon la Turquie. Ce jour-là, Mme Cengiz l’attendait dans la rue, devant les locaux. Mais M. Khashoggi n’a jamais réapparu et ses restes n’ont jamais été retrouvés. Cette affaire empoisonne les relations entre les deux puissances régionales sunnites.

Mais Ankara, en proie à une crise économique et à une inflation au plus haut depuis 20 ans (près de 55% sur les douze derniers mois), cherche depuis plusieurs mois le rapprochement avec Ryad. Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait annoncé début janvier une visite imminente en Arabie Saoudite – qui n’a pas eu lieu à ce jour. Dans un entretien télévisé jeudi matin, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu a reconnu que " des étapes importantes vers la normalisation des relations (avec l’Arabie saoudite) sont en cours ". " La coopération judiciaire a atteint un meilleur niveau ", a-t-il ajouté.

Pour Erol Önderoglu, représentant de RSF en Turquie contacté par l’AFP, " transférer le dossier vers Ryad, où le monde a déjà assisté à une mascarade de justice, est une terrible nouvelle pour ceux qui souhaitent obtenir justice pour le journaliste ". " RSF encourage le ministère turc de la Justice à s’opposer à cette demande déposée le 13 mars dernier par l’Arabie Saoudite ", insiste-t-il en notant que " le dossier Khashoggi semble cette fois-ci victime du rapprochement diplomatique entre la Turquie et le royaume " saoudien.

Multipliant depuis quelques mois des initiatives pour renouer des liens avec plusieurs puissances régionales, M. Erdogan a déclaré début décembre vouloir développer les relations d’Ankara avec les pays du Golfe, " sans distinction ". Les relations entre Ankara et Ryad s’étaient dégradées en 2017 lors du blocus du Qatar, un proche allié de la Turquie, décrété par l’Arabie Saoudite et suivi par les Émirats.

Avec AFP