L’île de Chypre, divisée depuis 1974 avec la partie nord occupée par la Turquie, est un terreau fertile pour les trafiquants d’êtres humains. Le nombre de cas est " alarmant " dans la partie sud de l’île méditerranéenne, une situation considérée comme aussi mauvaise qu’en Afghanistan.

Divisée depuis 1974

L’année dernière, le département d’État américain a rétrogradé Chypre dans son rapport annuel sur la traite des êtres humains, soulignant la lenteur des procédures judiciaires et le manque de condamnations. Ce rapport ne comprend pas officiellement la République turque de Chypre du Nord (RTCN, uniquement reconnue par Ankara), tiers nord de l’île sous occupation turque. Il indique cependant que, si tel était le cas, ce territoire serait classé parmi les pires contrevenants, aux côtés de l’Afghanistan.

Membre de l’Union européenne qui compte environ un million d’habitants, Chypre est divisée depuis son invasion en 1974 par la Turquie en réponse à un coup d’État parrainé par la Grèce. Cette division, et les efforts vains pour y mettre fin, font que les forces de l’ordre des deux côtés ne collaborent pas, déplore Nasia Hadjigeorgiou, enseignante à l’université Central Lancashire de Chypre. Le problème du trafic d’êtres humains n’est donc " pas traité ", dit-elle.

Des victimes africaines

Roumanie, Russie, Ukraine, Ethiopie, Cameroun, Inde, Népal… Elles viennent de " presque partout ", indique un employé du refuge. Dans le Nord, certaines jeunes africaines y sont amenées avec un visa étudiant, avec la promesse d’études ou de travail, mais une fois arrivées, " elles sont enfermées dans des appartements et forcées à avoir des relations sexuelles (monnayées) ", rapporte Fezile Osum, de la Plateforme des droits de l’Homme.

Cette organisation, qui gère une ligne d’assistance téléphonique, a identifié 12 victimes, toutes de la traite sexuelle, depuis fin 2021. S’ajoutent les cas de traite dans les boîtes de nuit, où les femmes munies de visas de " serveuse " ou d' "hôtesse " doivent se soumettre à des contrôles réguliers de MST, bien que la prostitution organisée soit illégale sur le territoire, poursuit Mme Osum. D’après une femme ayant travaillé dans des boîtes de nuit, ces dernières ont parfois recours au chantage ou à la drogue pour exercer un contrôle sur ces victimes.

Pour Dogus Derya, une femme politique chypriote-turque, le statut non reconnu de la RTCN implique qu’elle ne peut pas coopérer avec les organismes internationaux: ainsi, le Nord " peut être considéré comme une zone d’impunité pour les trafiquants ". Selon un rapport de la Commission européenne de 2020, Chypre arrive en tête dans l’UE du nombre de victimes identifiées ou présumées de la traite d’êtres humains par rapport à sa population, avec 168 par million d’habitants.

Manque de volonté politique?

La partie sud de l’île a recensé 21 victimes de la traite en 2021, selon la cheffe de l’unité de lutte contre la traite au sein la police, Eleni Michael. Mais 169 autres personnes ont été classées comme " victimes possibles ", seules des allégations vérifiées pouvant conduire au statut " officiel " de victime.

Si Chypre a connu récemment plusieurs condamnations pour des cas de traites, le tribunal de Limassol (sud) a noté le mois dernier que ce type de délits avait atteint des " proportions alarmantes ". Par ailleurs, des affaires ont été classées sans suite, comme celle de quatre policiers de l’immigration arrêtés en 2018 et soupçonnés d’avoir aidé un réseau de trafiquants.

Faible lueur d’espoir: une commission technique sur les questions pénales réunit depuis 2008 des représentants des deux parties de l’île. Cet organe peut être utile " si la volonté politique est là ", estime son coprésident chypriote-grec Andreas Kapardis.

Avec AFP