Dans son rapport annuel, la fondation Samir Kassir a dénoncé une dégradation sans précédent de la liberté d’expression au Proche-Orient, qui se traduit par une intensification de la censure, de la répression et des arrestations arbitraires. Des abus systématiquement légalisés par des lois liberticides qui criminalisent " l’atteinte au prestige de l’État ", la diffusion de contenu " politiquement sensible ", ou encore le " discours de haine " et le " terrorisme ", termes aux contours mal définis à dessein.

Selon la Fondation Samir Kassir, la région reste sous la coupe de lois liberticides qui contraignent les médias à s’aligner sur le discours officiel.

 

" Une infrastructure en ruine " : c’est le titre choisi par la Fondation Samir Kassir pour son rapport annuel 2021 sur la liberté d’expression au Liban et dans la région. Des mots forts pour décrire une situation qualifiée d’alarmante et de sans précédent par l’organisation, active non seulement au Liban, mais également dans tout le Proche-Orient.

Tel un bâtiment aux fondations branlantes, le consensus international (réel ou de façade) autour des principes de démocratie et de pluralisme disparaît peu à peu, plongeant les médias et la société civile dans l’incertitude quant à leur possibilité de représenter un contre-pouvoir. " Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ", comme l’affirmait Antonio Gramsci.

Cette année " turbulente " a en effet, connu des évènements d’ampleur qui auront des conséquences régionales sur la liberté d’expression et l’indépendance des médias. Parmi ces évènements, on peut citer le coup d’État présidentiel en Tunisie, la répression en Jordanie suite à un coup d’État manqué et la relance des hostilités en Palestine après l’éviction de familles dans le quartier de Sheikh Jarrah.

Dans ce contexte de turbulences, les médias ont-ils encore les moyens de mener à bien leur mission d’informer le public et de dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux ? La fondation Samir Kassir s’est posée cette question, recensant le nombre d’atteintes à la liberté d’expression dans chaque pays étudié et faisant le bilan du paysage médiatique en 2021.

La Syrie en pleine dérive

Le rapport établit un paysage ravagé de la liberté d’expression en Syrie, pays déchiré par la guerre civile, entre les mains de milices possédant l’essentiel du pouvoir et d’un régime qualifié de criminel. Dans cet État failli, les journalistes subissent une double pression : celle des puissances étrangères, et celle des " seigneurs de la guerre " locaux qui soumettent les médias à leurs propres agendas.

Qu’il s’agisse du régime ou des autres acteurs locaux, tous appliquent la même approche vis-à-vis des médias, inspirée du baassisme et basée sur le totalitarisme et l’arbitraire. Dans ce cadre, les médias n’existent qu’en tant que servants du pouvoir et doivent prêter allégeance à celui-ci, sous peine d’arrestations, assassinats ou incendie des locaux.

Dans son classement mondial sur les libertés (Freedom Index), Freedom House a placé la Syrie en dernière position, affirmant que " les droits et les libertés civiles sont gravement compromis par l’un des régimes les plus répressifs au monde. ". Récemment, Damas a promulgué une loi prévoyant une peine de six mois de prison pour qui diffuserait des informations " portant atteinte au prestige " de l’État.

La fondation Samir Kassir a recensé 66 violations des droits de l’homme en 2021 en Syrie, dont 33 détentions arbitraires et 13 agressions provenant de groupes miliciens.

En Jordanie, la liberté d’expression n’est pas une priorité

Les autorités jordaniennes persistent dans leur volonté de contrôler le champ médiatique du pays, comme le prouvent les nombreuses arrestations, menaces et restrictions que subissent les journalistes dans le pays. Une situation qui ne se démarque pas des années précédentes, soulignant la volonté du régime d’aligner le traitement médiatique sur le discours officiel.

Parmi les nombreuses atteintes à la liberté d’expression, on peut citer l’arrestation du journaliste Hassan al-Banna et son renvoi en Égypte, celle du journaliste Jihad al Muhaisen , ou encore la condamnation de l’éditeur-en-chef de " Deeretna ", Sawsan Mubaideen, à trois mois de prison. Les journalistes sont fréquemment victimes de campagnes de cyber-harcèlement et de menaces sur leur famille et leurs proches.

La justice jordanienne invoque principalement les motifs de diffamation, publication de contenu religieusement offensant ou " politiquement inacceptable ", recourant au blocage de sites web et à la censure directe. La loi sur la cybercriminalité offre de même un outil légal pour la censure de sujets considérés comme relevant du " discours de haine ".

Les sujets systématiquement censurés incluent la famille royale (et notamment la tentative de coup d’État du prince Hamza), la cause LGBT ou encore la couverture de manifestations dans le pays.

La fondation a recensé pour 2021 non moins de 18 violations de la liberté d’expression, dont quatre détentions par les autorités et quatre décisions de censure.

En Palestine

Le soulèvement en solidarité avec les habitants du quartier de Sheikh Jarrah a été réprimé avec brutalité par les forces de sécurité israéliennes, qui n’ont pas manqué de s’en prendre aux journalistes couvrant les manifestations. L’aviation israélienne a ainsi détruit les bureaux de près de 30 institutions médiatiques en Cisjordanie et à Gaza, dont Al-Jazeera et Associated Press.

Seuls les journalistes israéliens ont été autorisés à couvrir les hostilités, les journalistes palestiniens étant systématiquement refoulés par la police israélienne et subissant tirs de gaz lacrymogène, assauts physiques et arrestations.

Dans le même temps, l’Autorité palestinienne a continué à persécuter les journalistes en Cisjordanie. Ainsi, les médias locaux qui ont relayé le meurtre de l’activiste et opposant politique Nizar Banat par les forces de sécurité palestiniennes ont rencontré une impitoyable répression. Quant au Hamas, il interdit tout traitement médiatique allant à l’encontre de la résistance ou critiquant les conditions de vie dans la bande de Gaza.

La répression des journalistes et activistes palestiniens s’étend sur l’espace digital, avec la coopération des réseaux sociaux tels que Twitter, Facebook ou Instagram qui censurent systématiquement le contenu pro-palestinien. De même, WhatsApp a bloqué les comptes de dizaines de journalistes palestiniens durant la guerre de mai 2021 à Gaza.

La fondation Samir Kassir a recensé près de 392 violations de la liberté d’expression en Palestine, dont 225 agressions provenant des forces de sécurité.