Emmanuel Macron, qui n’a obtenu que 38,5% des voix des inscrits dimanche, est-il un président mal élu, comme l’assure Jean-Luc Mélenchon ? C’est un " procès en illégitimité un peu faiblard ", répond à l’AFP le politologue Pascal Perrineau. Mais le chercheur à Sciences-Po le concède aussi: " Les cinq ans à venir ne seront pas un chemin pavé de roses " pour M. Macron, qui a bénéficié de ce qu’il reste du front républicain pour faire barrage à Marine Le Pen.

 

Affirmer qu’un président élu a été mal élu, est-ce un argument politique classique ?

" Ce n’est pas classique mais ça a déjà existé dans le passé. Particulièrement en 1969, quand Georges Pompidou avait été l’objet d’un très méchant procès de la part du parti communiste, qui avait réuni plus de 20% des voix à l’élection présidentielle à travers la candidature de Jacques Duclos. Et les communistes l’accusaient d’être " Monsieur tiers ". Comme le tiers des électeurs inscrits, ce qui n’était pas tout à fait exact puisque Pompidou avait obtenu 37,5%. Et +Thiers+, du nom d’Adolphe Thiers, le boucher de la Commune. Le procès avait été extrêmement virulent et s’était peu à peu éteint.

Et là d’une certaine manière ce sont les mêmes milieux, c’est-à-dire l’extrême gauche, qui font réexister ce procès. Surtout, le patron de la France insoumise dit des choses fausses: Emmanuel Macron n’est pas celui qui a fait le plus faible score au nombre d’électeurs inscrits. Pompidou a fait un point de moins. François Hollande en 2012 et Jacques Chirac en 1995 ont fait 39% (des inscrits) et personne n’a dit que c’étaient des président mal élus. Donc c’est un procès en illégitimité qui est un peu faiblard, dont on voit bien les objectifs politiques puisqu’on cherche à transformer les législatives en 3e tour. Ce qui est aussi gênant, c’est que cela néglige l’état de droit. Dans la Constitution, l’article 7 dit que le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Et là avec plus de 58%, c’est un président bien élu. "

 

A travers sa critique, Jean-Luc Mélenchon vise surtout le manque d’adhésion pour Emmanuel Macron, qui a bénéficié de la volonté de faire barrage à Marine Le Pen. Est-ce pertinent d’aller sur ce terrain ?

" Je ne crois pas. Même s’il est vrai que la dimension de rejet augmente par rapport au vote d’adhésion. Car il y a une telle crise des projets politiques auxquels les Français ne croient pas. Comme le dit Pierre Rosanvallon, maintenant on n’élit plus les gens, on les désélit.

Donc ses 58% sont impressionnants. Mais attention, il y a un fort taux d’abstention, un taux de blanc et nul non négligeable, et une Marine Le Pen qui fait presque 42% des suffrages exprimés. Cela montre qu’Emmanuel Macron est un colosse aux pieds d’argile. On a vu au premier tour que les protestations en tous genres recueillaient presque 60% des suffrages. Il va devoir composer avec cela et les cinq ans à venir ne seront pas un chemin pavé de roses. "

 

M. Mélenchon joue aussi sur le ressort de la crise de la démocratie représentative…

" Oui. Mais il devrait tout de même être prudent. Car s’il tente un procès en illégitimité vis-à-vis de Macron, lui n’a recueilli que 15,8% des inscrits. Il lui reste du monde à conquérir. Après, on s’aperçoit que dans une atmosphère de crise de la démocratie représentative, beaucoup de demandes sociales et politiques ne se règlent plus dans les urnes mais sur le terrain de la protestation, des manifestions, éventuellement du recours à la violence. On l’a vu lors du mouvement des gilets jaunes, puis lors des manifestations contre le pass sanitaire et dans la mouvance anti-vax. Une partie de la fonction d’opposition se déplace du terrain politique au terrain social. C’est un défi beaucoup plus sérieux. "

 

AFP