Il y a six mois, Elon Musk évoquait un don de 6 milliards de dollars à l’ONU pour éradiquer la faim dans le monde, à condition d’avoir un plan précis. Cette proposition est restée lettre morte malgré le plan onusien soumis de bon cœur à l’entrepreneur. Ce 25 avril, l’entrepreneur a racheté le réseau social Twitter pour un montant de 44 milliards de dollars, en précisant qu’il "se fiche de sa rentabilité". Outre l’aspect socioéconomique de cette acquisition hors norme, l’implication du fantasque milliardaire pourrait avoir un poids politique et idéologique jusqu’ici sous-estimé. On ne mesure peut-être pas encore la nuisance de ce rachat par Elon Musk. Quelques heures après cette annonce, l’animateur de Fox News, Tucker Carlson – fervent défenseur de Vladimir Poutine, suspendu de Twitter en raison d’un tweet transphobe visant un membre de l’administration américaine – est réapparu sur le réseau social : "We’re back".

Banni des réseaux sociaux pour son incitation à l’insurrection et aux violences juste après sa défaite dans les urnes – l’invasion du Capitole ayant fait cinq morts –, l’ex-président américain Donald Trump pourrait faire son grand retour dans l’arène de Twitter. Si les accointances entre Donald Trump et Elon Musk sont avérées, elles sont étonnement peu mises en relief. Le fondateur de Space X l’a soutenu sans ambages dès son élection en 2016, en intégrant le " Forum stratégique et politique " mis en place par l’ex-président.

Toujours critiqué pour sa lenteur de modération des contenus haineux, explicites et hors-la-loi, le réseau social est devenu bon an mal an un moindre mal face aux réseaux sociaux sans limites tolérés outre-Atlantique, prisés par les sphères d’extrême droite européennes et de l’alt right américaine telles que Gettr ou Gab, au slogan inspirant pour le libertarien Musk : "Liberté d’expression pour tout le monde".

Loin d’être un havre de paix, Twitter a néanmoins renforcé ses mécanismes pour que le flux d’information soit le plus exact et transparent possible pour le public, dans un cadre limité par des règles éthiques. En permettant depuis août 2021 de rapporter les contenus trompeurs, confusionnistes et les fausses informations, Twitter s’est engagé dans la lutte aux " fake news " sur le tard. Percevant Twitter comme "une place publique", l’arrivée du libertarien Elon Musk aux manettes, adepte d’une liberté d’expression sans filet, devrait radicalement changer l’écosystème de Twitter.

Selon Musk, "le virus du wokisme rend Netflix irregardable". Durant l’invasion de l’Ukraine, il réitère en attaquant de nouveau la plateforme de streaming le 14 mars : "Netflix attend de faire un film impliquant un homme noir ukrainien tombant amoureux d’un soldat russe transgenre". Le même jour, il publie un meme sarcastique tournant en dérision les soutiens à l’Ukraine et aux causes LGBT.

Le populisme actionnarial affiché par Elon Musk séduit notamment en France, où nombre de politiques et de personnalités classées à l’extrême droite ont salué son rachat du réseau social à l’oiseau bleu, de l’antivax Florian Philippot au polémiste André Bercoff saluant le "milliardaire le plus libertaire de la planète", en passant par le site complotiste FranceSoir et le réseau QAnon France. Et si Donald Trump a pour l’heure indiqué "exclure un retour sur Twitter", l’imprévisible milliardaire pourrait être tenté d’y revenir une fois la campagne présidentielle américaine de 2024 enclenchée, notamment en raison de l’échec de son propre réseau baptisé Truth Social.

Coïncidence de calendrier, l’Union européenne a ratifié ce 23 avril le texte relatif aux Gafam, intronisant une législation pour lutter contre les dérives sur internet. Ce règlement des services numériques (DSA) vise à contraindre les plateformes numériques (dont Twitter) à s’attaquer aux contenus et produits illicites proposés en ligne. "Média affilié à la Russie" ou "responsable du gouvernement iranien" sont quelques-unes des étiquettes apposées aux profils susceptibles de propager de la désinformation, et ce, depuis quelques mois à peine. Cet outil a été particulièrement efficace lors l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Au-delà de ses moyens militaires, le régime de Poutine a mis les moyens pour tromper l’opinion publique occidentale par le biais de plateformes passant sous les radars telles que In The Now, Red Fish ou Breakthrough News, aussitôt épinglées par Twitter. Sans oublier le profil de la chaîne d’influence Russia Today, suspendue du réseau social en Europe dans la foulée des sanctions occidentales contre Moscou. Sous l’œil attentif de Twitter, le profil officiel du "Guide Suprême", l’ayatollah Ali Khamenei, a été suspendu du réseau social le 15 janvier 2022 pour avoir publié une vidéo simulant l’assassinat… de Donald Trump.

Enfin, l’analogie entre Elon Musk et le magnat des médias Rupert Murdoch – ami de Donald Trump – devient de plus en plus évidente au regard de leurs trajectoires respectives. Si Twitter est devenu une mine d’informations crainte par les démocraties illibérales, les régimes liberticides et les dictatures pures et dures, l’arrivée du libertarien Elon Musk à sa tête envoie un mauvais signal aux partisans d’une plateforme "à l’européenne" disposant jusqu’à présent de garde-fous aux dérives idéologiques, au harcèlement et à la haine en ligne. Le basculement de Twitter dans le nouvel écosystème muskien pourrait ainsi légitimer des courants jusqu’alors tolérés outre-Atlantique et changer l’identité du réseau social au deux cent quatre-vingts caractères.

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