Le journalisme politique en France, c’est vraiment toute une histoire. Parce qu’ils ont souvent fait les mêmes écoles et se côtoient pendant des années, journalistes et politiques affichent parfois une certaine connivence, peu comprise par les correspondants étrangers. La culture du clash dans les médias est également un point qui amuse, mais interroge, les reporters des autres pays.

Connivence et entre-soi des journalistes et des politiques, amour du clash à outrance : les correspondants étrangers à Paris portent un regard étonné, amusé et parfois inquiet sur la couverture de la présidentielle et des législatives par les médias français.

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Jean-Luc Mélenchon lors d’un point presse début mai (AFP)

Lors des Assises internationales du journalisme à Tours, des rédacteurs des quotidiens espagnol El Pais, allemand Süddeutsche Zeitung, britannique The Guardian et de l’hebdomadaire portugais Visao ont décortiqué les particularités du journalisme politique à la française.

" A mon arrivée en France, j’ai été frappée par la proximité presque amicale entre les journalistes et les politiques ", observe Ana Navarro Pedro, qui écrit pour Visao. Selon elle, cette fréquentation trop proche conduit à être moins incisif.

Contrairement au Portugal où les rédacteurs changent plus souvent de rubrique, passant du sport à la culture par exemple, les journalistes politiques en France le restent tout au long de leur carrière, observe-t-elle.

Les mêmes écoles

Un phénomène accentué par le fait que beaucoup d’entre eux ont fait les mêmes écoles, comme SciencesPo, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays, relève Nadia Pantel de la Süddeutsche Zeitung. " En Allemagne, vous pouvez commencer dans une petite ville et pas à Berlin ", explique-t-elle.

Elle cite son exemple et ses débuts dans un petit village bavarois après des études d’histoire : elle est devenue quatre ans plus tard correspondante à Paris pour ce grand quotidien de centre-gauche. " Avec un tel CV, en France, je ne serais pas devenue correspondante du Monde à Berlin ", note-t-elle.

Pour Marc Bassets d’El Pais, l’entre-soi des journalistes et des politiques a conduit un public plus populaire à se détourner des médias traditionnels pour " l’infotainement " (mélange d’information et de divertissement) pratiqué notamment par Cyril Hanouna sur C8. " On peut ne pas l’aimer, mais il parvient à toucher des Français " qui s’étaient éloignés de l’actualité politique, estime-t-il.

Favoriser les " perturbateurs "

Jon Henley, interviewé en marge des Assises par l’AFP, souligne quant à lui que les médias français valorisent de plus en plus dans leur couverture les " perturbateurs ", " ceux qui cherchent le conflit ", car cela " génère des clics sur internet ".

" C’est fatal pour le journalisme politique car cela nous amène à parler de certains candidats plutôt que d’autres ", ajoute ce reporter, qui couvre l’Europe à Paris pour The Guardian.

Il observe toutefois que ce phénomène n’est pas propre à la France : " aux États-Unis avec Donald Trump, au Royaume-Uni avec Boris Johnson, toute déclaration un peu scandaleuse était déjà mise en avant ".

Pour Nadia Pantel, le paroxysme a été atteint en France avec le polémiste d’extrême-droite Éric Zemmour. " Je ne pouvais pas croire qu’il y ait une émission chaque soir avec cet homme-là, où la nouvelle du jour était toujours décortiquée sous le prisme de l’immigration, l’islam et la criminalité. Cela m’a choquée qu’il soit candidat ", remarque-t-elle.

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Éric Zemmour lors d’un point presse (AFP)

Une utilisation systématique du " off the record "

Ana Navarro Pedro constate quant à elle qu’avec la campagne pour les législatives : " on est passé du +tout-Zemmour+ au +tout-Mélenchon+. Il joue au clash et ce spectacle est en train de phagocyter tout le débat ".

" Est-ce que cela va continuer ? Je n’en sais rien, mais si Mélenchon gagne son pari, ce sera en grande partie grâce à cette couverture médiatique qui se concentre sur lui maintenant ", poursuit-elle.

Certaines pratiques françaises étonnent également Marc Bassets : le goût très prononcé pour le " off the record ", tout d’abord. Destiné à protéger une source, il est utilisé beaucoup plus fréquemment en France qu’en Espagne et dans des cas qui ne lui paraissent pas vraiment justifiés.

La relecture des interviews politiques, qui reviennent très souvent caviardées ou amendées par un conseiller, lui pose également problème. El Pais et Visao, souligne-t-il avec sa consœur portugaise, possèdent tous deux des " manuels " sur la conduite à suivre par les journalistes, où est certes tolérée la relecture d’un entretien, mais pas le changement de ce qui a été dit.

Avec AFP