Redoutée par les consommateurs occidentaux, l’augmentation phénoménale des prix de l’énergie constitue une véritable aubaine pour les monarchies du Golfe, et notamment l’Arabie Saoudite. Ces pays étaient, en effet, confrontés à une dépendance excessive à l’or noir, synonyme d’endettement et de crise économique en période de vache maigre. Cette situation est donc une opportunité pour les pétromonarchies de maintenir les piliers de leur pacte social, entamer la transition productive et énergétique, tout en affirmant leur présence régionale et internationale. 

L’Arabie Saoudite a connu une croissance de son activité pétrolière de 20,4%, portant la croissance de son PIB à 9.6% au cours des trois premiers mois de 2022. (AFP)

Alors que l’économie mondiale connait un marasme généralisé, imputé aux tumultes de la guerre en Ukraine, l’Arabie Saoudite connait une prospérité sans précédent qui met fin à plusieurs années de vache maigre pour le Royaume.  En effet, l’Autorité générale des statistiques saoudienne  (GASTAT) a annoncé une croissance de 9.6% du PIB au cours des trois premiers mois 2022, en comparaison avec la même période l’année dernière. Le Fonds Monétaire International (FMI) a, lui, réévalué sa prévision du PIB saoudien, qui devrait croître de 7.6% en 2022.

Malgré l’inflation mondiale et le ralentissement du commerce international, tous les indicateurs sont au vert pour l’Arabie Saoudite : excédent budgétaire (pour la première fois depuis 2013) de 21 milliards d’euros, inflation relativement maîtrisée de 2.5%, et croissance de l’activité pétrolière de 20,4%. Ce dernier chiffre est d’une importance capitale pour le pays, qui tire près de 60% de ses revenus budgétaires de l’exploitation pétrolière.

Portée par l’industrie des hydrocarbures, la taille de l’économie saoudienne devrait donc dépasser pour la première fois de son histoire les mille milliards de dollars, occupant le 18e PIB mondial avant les Pays-Bas et la Suisse, et juste derrière l’Indonésie et le Mexique. Une tendance qui devrait se poursuivre, le FMI ayant revu à la hausse ses perspectives de croissance pour l’Arabie Saoudite de 2.8 à 3.6% en 2023.

Au niveau régional, la croissance des pays du Golfe devrait atteindre les 5.9% en 2022, un niveau jamais atteint depuis 2012. Les Émirats Arabes Unis et le Koweït connaitront, selon le FMI, une augmentation du PIB respective de 6.4% et 5.6%, du jamais vu depuis plus d’une décennie.

Une véritable aubaine pour des économies fondées sur les hydrocarbures 

Porteuse de mauvais augures pour les pays importateurs d’énergie, la hausse des prix des hydrocarbures est le principal facteur explicatif de la bonne santé de l’économie saoudienne. En effet, le pays a besoin d’un prix du brut d’environ 80 dollars le baril pour équilibrer son budget, alors qu’il est situé à 110.16 le baril au 14 mai 2022.  Selon la Banque Mondiale, les prix du pétrole ont augmenté de 55% entre décembre 2021 et Mars 2022.

Résultat des courses : les capitaux affluent en Arabie Saoudite et dans les autres pays de la région. Le FMI estime ainsi que les pays du Golfe recevront près de 1.000 milliards de dollars US supplémentaires dans les cinq prochaines années dû à cette conjoncture favorable.

Il s’agit d’une véritable aubaine pour l’Arabie Saoudite, plongée dans la spirale du déficit et de l’endettement depuis la plongée des prix des hydrocarbures en 2013. En effet, le Royaume avait été contraint d’emprunter plus de 100 milliards de dollars depuis cette année, et d’utiliser ses réserves monétaires pour maintenir son économie à flot. Avant la hausse des prix du pétrole, le ministère des Finances saoudien avait prévu un déficit de 12,3 milliards d’euros pour 2022, loin de l’excédent prévu actuellement qui équivaut à 6.7% du PIB.

L’accord de l’OPEP+, contracté en juillet 2021, prévoyait une progressive hausse de la production de 400 000 barils par jour chaque mois pour accompagner la relance mondiale et contrôler les stocks mondiaux de pétrole. Alors que la demande mondiale explose à la suite du conflit en Ukraine, cette augmentation très mesurée de la production signifie une croissance faramineuse des bénéfices pour l’Arabie Saoudite, qui devrait recevoir 400 milliards de dollars de ses exportations d’hydrocarbures, loin des 250 milliards de 2021.

Du côté du Qatar, dont le gaz naturel liquéfié est très prisé par les économies européennes désireuses de s’affranchir de la dépendance au gaz russe, le pays devrait recevoir près de 100 milliards de dollars USD de ses exportations énergétiques.

Une rente d’État à même de contenir les troubles extérieurs et intérieurs 

Sur le plan géopolitique, cet afflux financier vers les pays du Golfe est susceptible d’impacter sensiblement leurs politiques étrangères, que ce soit sur le plan régional ou sur celui de leurs relations avec les pays occidentaux.

Alors que les leaders occidentaux se sont succédé à Riyad pour demander au pays d’augmenter sa production pour mettre fin à l’inflation énergétique mondiale, le Royaume s’est montré inflexible quant à sa volonté de s’en tenir à l’accord OPEP+, qu’il pilote avec Moscou. Cet accord explique la réticence de Riyad à condamner les agissements du Kremlin en Ukraine, la Russie étant un partenaire stratégique dans la gestion des prix des hydrocarbures. Cette nouvelle donne souligne de même l’indépendance croissante de l’Arabie Saoudite envers l’Occident.

Dans le contexte de bipolarisation croissante que connait la région, les pays du Golfe auront davantage de moyens pour réussir leurs orientations de politique étrangère et soutenir les régimes qui leur sont alliés. L’Arabie Saoudite a ainsi déposé 4.75 milliards de dollars US dans la Banque Centrale Égyptienne pour renforcer son économie exsangue. Quant au Qatar, le pays a promis des investissements de cinq milliards de dollars US en Égypte. De même, L’Arabie Saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis se sont entendus pour envoyer 50 millions de dollars par mois sur trois ans à la Jordanie pour l’aider à boucler son budget, le montant total étant de 2,5 milliards de dollars USD.

La satellisation des États arabes par les monarchies du Golfe, processus déjà démarré depuis plusieurs décennies, sera accéléré par la conjoncture actuelle, alors que plusieurs pays de la région sont plongés dans une crise économique et budgétaire. C’est le cas de la Tunisie, l’Égypte, le Liban ou la Jordanie, qui subissent les répercussions de la triple crise de la COVID-19, de l’augmentation des prix du carburant, et de celle des prix des céréales.

Cette dépendance institutionnelle est renforcée par le facteur migratoire, les travailleurs arabes dans les pays du Golfe ayant envoyé près de 56 milliards de dollars en 2020 à leurs pays d’origine. L’augmentation de l’activité dans les pays du Golfe aura donc comme conséquence l’augmentation des transferts financiers de la diaspora, et donc de la dépendance économique des pays arabes aux capitaux du Golfe.

Enfin, une telle embellie signifie l’éloignement du spectre de la crise politique, les États rentiers du Golfe pouvant ainsi maintenir les considérables filets de sécurité sociale et d’emploi public qui constituent le cœur de leur pacte social. C’est notamment le cas pour l’Arabie Saoudite, mais aussi pour Oman, confronté à un taux de chômage de 49% chez les jeunes. La chute des prix du pétrole, qui représente 46% du PIB omanais, avait contraint le pays à instaurer en 2021 une TVA de 5%, une première dans la région, ce qui avait alimenté le mécontentement social. Le retour de la prospérité constitue ainsi une bouffée d’oxygène pour les Etats du Golfe, qui n’auront pas à ponctionner leurs citoyens pour couvrir leurs dépenses.

 

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