Elle s’appelait Qandeel Baloch. Cette jeune star des réseaux sociaux a été étranglée par son frère pour avoir osé narguer les moeurs conservatrices du Pakistan à l’égard des femmes. Ceux que l’ont appelle les " crimes d’honneur " sont toujours légion au Pakistan, malgré de timides avancées en la matière.

En février, le meurtier de Quandeel Baloch est libéré, moins de trois ans après son incarcération. Cette injustice illustre à quel point l’ensemble du système judiciaire pakistanais reste biaisé en faveur des hommes, qui peuvent presque impunément brutaliser, violer ou tuer des femmes.

La superposition de différents systèmes judiciaires, remplis de failles, au sein d’une société profondément patriarcale, rend très improbable que les victimes de violences sexuelles puissent se faire entendre, selon des militantes, avocates et survivantes contactées par l’AFP.

Pour une femme, le processus judiciaire dans son ensemble " est structuré de telle manière qu’il est très difficile d’obtenir justice ", estime Nayab Gohar Jan, une défenseure des droits des femmes.

" Ajoutez à cela la pression sociale et la stigmatisation, et vous voyez que tout se ligue clairement contre elles ", ajoute-t-elle.

Une grande partie du Pakistan vit sous un code patriarcal basé sur la notion d' "honneur " qui tolère qu’une femme soit tuée par un proche au prétexte qu’elle aurait sali l’honneur familial, parfois simplement pour avoir été vue en compagnie d’un homme ou pour avoir choisi elle-même son époux.

Plus de 470 crimes " d’honneur " ont été rapportés à la police en 2021, selon la Commission pakistanaise des droits humains (HRCP). Mais beaucoup de cas ne sont pas répertoriés, les familles tendant à protéger les meurtriers.

Le Pakistan figure au 153e rang sur 156 de l’indice mondial de l’écart entre les sexes du Forum économique mondial en 2021.

Le meurtre en 2016 de Qandeel Baloch, qui avait fait scandale par ses tenues et poses provocatrices, a eu un énorme retentissement. Son frère, Muhammad Waseem, s’est vanté de l’avoir étranglée, en raison de son " comportement intolérable ".

L’onde de choc a poussé le gouvernement à introduire une nouvelle législation punissant plus sévèrement ces crimes et empêchant les familles d’absoudre les assassins ou de s’accorder avec eux sur une compensation financière, appelée " prix du sang ".

Muhammad Waseem avait été condamné à la prison à perpétuité en 2019. Mais ses avocats ont profité d’une faille dans la loi en appel.

Le juge peut en effet choisir de ne pas retenir la notion d’honneur parmi les chefs d’accusation, auquel cas le meurtrier peut toujours demander l’absolution. C’est ce qui s’est passé pour lui, ses parents ayant décidé de lui pardonner.

Les avocats et militants féministes mettent sur le compte de la mentalité encore toute patriarcale des juges et du manque de femmes avocates ce genre de décision.

La partialité des juges

Les tribunaux pakistanais sont largement dominés par les hommes: moins de 20% des juges et seulement 12% des procureurs sont des femmes, selon la HRCP.

L’avocate Nida Usman Chaudhary, qui a fondé un collectif de juristes femmes, estime que les juges masculins font souvent preuve de partialité dans les affaires de crimes " d’honneur ".

" Dossier après dossier, la Cour suprême a développé une défense entière (…) pour garantir l’impunité de la personne accusée ", considère-t-elle.

Poignardée à 23 reprises par un ancien petit ami, Khadija Siddiqi explique que son dossier a été tellement retardé qu’elle " était sur le point d’abandonner ".

Son agresseur a été condamné, acquitté en appel, recondamné par la Cour suprême et enfin libéré de manière anticipée pour bonne conduite.

A ses yeux, son cas symbolise une culture consistant à blâmer la victime, persistante au sein de la police, du monde judiciaire et même d’une grande part de la société.

Les accusations sont considérées comme ne devant pas sortir du cercle familial et les victimes sont regardées avec suspicion.

Ce genre d’attitude est partagé jusqu’au sommet de l’Etat. L’ancien Premier ministre Imran Khan a plusieurs fois établi un lien entre les agressions sexuelles et le fait que les victimes seraient parfois " très peu vêtues ".

" On m’a fait sentir que j’avais fait quelque chose de mal et que j’avais eu ce que je méritais ", constate Mme Siddiqui.

L’influence des réseaux sociaux est un contrepoids à l’inertie de la police et de la justice. Mais elle reste limitée aux dossiers les plus médiatiques.

En février, le Pakistano-américain Zahir Jaffer, fils d’un richissime patron d’industrie, a été condamné à mort pour avoir violé et décapité l’an passé sa compagne, Noor Mukadam, fille d’un ancien ambassadeur, qui venait de refuser sa demande en mariage.

Le procès s’est distingué par la rapidité avec laquelle il s’est tenu, à peine huit mois après l’arrestation du coupable.

Cette affaire a été très suivie, en raison de la brutalité du meurtre et du statut social des protagonistes, mais aussi parce que la famille et les amis de Noor Mukadam se sont mobilisés.

Justice traditionnelle

" Nous avons fait monter la pression (…) et utilisé les (réseaux sociaux) comme tactique ", raconte Shafaq Zaidi, une amie d’enfance de Noor Mukadam.

Quelques jours avant l’assassinat de celle-ci en juillet 2021, Quratulain Baloch était torturée et tuée à l’autre bout du pays.

Mais, loin de la capitale, cette affaire-là a été loin de susciter la même attention. Son mari, accusé de l’avoir tuée, ce qu’il nie, n’a été inculpé qu’en mars.

" Quand le verdict dans le dossier Noor Mukadam a été prononcé, le procès pour le meurtre de Quratulain n’avait même pas commencé. Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas eu le même empressement dans ce cas? ", déplore son frère Sanaullah Buledi.

Au Pakistan, le système judiciaire, inspiré du modèle britannique, intègre aussi certaines interprétations de la loi islamique, en particulier pour les violences sexuelles et les litiges familiaux.

Dans les zones rurales, les femmes n’ont souvent même pas droit à un procès. Elles sont soumises à la justice traditionnelle, rendue par des conseils villageois composés de sages – toujours des hommes – qui n’hésitent souvent pas à ordonner des mauvais traitements à leur égard au nom du respect de " l’honneur ".

Si ces tribunaux offrent l’avantage de régler rapidement les affaires, les femmes ne peuvent faire appel du jugement.

L’influence des religieux les plus conservateurs se fait aussi sentir.

L’an passé, le Conseil de l’idéologie islamique, un organe veillant à la conformité des lois avec les principes islamiques, qui avait proposé par le passé que soit accordé aux hommes le droit de " battre légèrement " leurs épouses, a fait enterrer un projet de loi durcissant les sanctions contre les violences domestiques.

En début d’année, la nomination d’une première femme juge à la Cour suprême, Ayesha Malik, a été perçue comme un signal positif.

L’an passé, elle avait fait interdire au Pendjab un test de virginité, appelé sous sa forme la plus commune test des " deux doigts ", qui est censé permettre d’éclairer le passé sexuel des victimes de viols.

Une nouvelle législation sur le viol, qui prévoit notamment la création de tribunaux dédiés, est aussi entrée en vigueur.

Celles qui ont affaire au système paient toutefois le prix lourd. " Il y a eu des moments où j’espérais juste que le sol allait s’ouvrir, pour que je puisse m’y cacher, à l’abri des regards des hommes au tribunal ", avoue Mme Siddiqui.

AFP

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