Selon des spécialistes français, le changement climatique ne devrait pas provoquer de migrations de masse, mais plutôt accentuer des crises et conflits qui génèrent déjà des déplacements internes dans les pays du Sud.  Un discours à contre-courant des projections des experts du climat, qui chiffre à plus de 200 millions le nombre de personnes poussées à l’exode en 2050 en raison des impacts du réchauffement de la planète, des sécheresses et autres cyclones.

Le changement climatique ne devrait pas provoquer de mouvements migratoires internationaux de masse dans les prochaines années, mais plutôt accentuer des crises et conflits qui génèrent déjà des déplacements internes dans les pays du Sud, estiment des spécialistes français de l’immigration.

Un discours à contre-courant des projections des experts du climat, notamment ceux de l’Onu (Giec), ou d’organisations comme la Banque mondiale qui chiffre à plus de 200 millions le nombre de personnes qui seront poussées à l’exode en 2050 en raison des impacts du réchauffement de la planète, des sécheresses et autres cyclones.

Un " chiffre bidon ", balaye François Héran, démographe qui dirige la chaire migrations du Collège de France, grand établissement de recherche à Paris.

" L’idée que la dégradation du climat, la montée progressive des eaux, va nécessairement provoquer des migrations internationales, est une idée simpliste qui n’est absolument pas prouvée ", a-t-il expliqué lors d’une table ronde lundi soir consacrée aux " déplacés environnementaux ".

" D’autres causes, politiques, économiques, sociales, interagissent " avec le climat pour déclencher un exil souvent " multifactoriel ", poursuit ce chercheur, qui a étudié les recoupements entre les déplacements et les images satellitaires témoignant de l’évolution climatique.

Parmi les près de 60 millions de déplacés internes dans le monde en 2021 recensés par l’International Displacement Monitoring Centre (IDMC), qui fait référence, combien réellement liés au changement climatique ?

L’instrumentalisation de la menace migratoire pour la prise de conscience écologique 

Des migrants, secourus par la garde nationale tunisienne lors d’une tentative de traversée de la Méditerranée en bateau, se reposent à Ben Guerdane dans le sud de la Tunisie, le 6 janvier 2022. (AFP)

En 2020, 33,7 millions l’étaient en raison d’événements naturels, mais cela inclut aussi des phénomènes géophysiques immémoriaux, comme les éruptions volcaniques, les glissements de terrain, les tremblements de terre… Si l’on ne garde que les tempêtes, les inondations ou encore les sécheresses, cela concernait 22 millions de personnes.

" On a du mal à isoler les facteurs environnementaux, diffus, progressifs, par rapport aux facteurs comme les conflits ", convient Hélène Thiollet, qui enseigne les migrations internationales à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris.

Souvent, souligne la politiste, " on a les deux simultanément " comme déclencheur du départ, " en même temps une catastrophe climatique et un conflit, le climat et l’insécurité ou la répression politique ".

Pour elle, l’écart d’appréciation du phénomène découle d’une bonne volonté initiale de climatologues " alarmistes ". Mais ces derniers ont " instrumentalisé la menace migratoire en donnant un visage ultra-menaçant au changement climatique pour en faire un instrument, qu’ils pensent vertueux, de la prise de conscience écologique ".

Bien sûr, conviennent les spécialistes des migrations, il existe des régions où la corrélation entre climat et exode est évidente.

Les pays d’Asie du Sud-Est sont particulièrement touchés, à commencer par le Bangladesh. Mais surtout des petits archipels du Pacifique menacés de disparaître de la carte, comme Tuvalu et Kiribati. Ce dernier a carrément acheté une île aux Fidji pour y déplacer sa population en cas de montée des eaux irréversible.

Réfugié ou déplacé ?

La Banque mondiale chiffre à plus de 200 millions le nombre de personnes poussées à l’exode en 2050 en raison des impacts du réchauffement de la planète, des sécheresses et autres cyclones. (AFP)

C’est d’ailleurs un ressortissant de Kiribati qui avait déposé en 2013 une demande d’asile en Nouvelle-Zélande au motif du réchauffement climatique. Une première.

Mais " le climat engendre des migrations de gens qui ne bougent pas loin, ce sont surtout des déplacés internes ou des migrations Sud-Sud, donc ça ne créera pas des mouvements comme on l’a vu avec des conflits politiques, ethniques ", observe Catherine Withol de Wenden, directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et spécialiste du sujet.

C’est une des raisons pour lesquelles les pays du Sud ne sont pas plus favorables que les pays occidentaux à la création d’un statut de réfugié climatique, exclu sur la scène internationale à ce stade – la notion de réfugié restant intimement liée au risque de persécution.

Une situation qui soulève une question, estime la chercheuse Hélène Thiollet: " En général, la différence entre le migrant et le réfugié, c’est que celui-ci ne disposait pas d’autre choix que de partir. Or la nature des phénomènes environnementaux fait qu’il y a une forme de contrainte ".

" La désertification, typiquement, est un facteur qui va amener les gens à prendre la décision de migrer. Il n’y a pas une personne avec un fusil derrière vous, mais de manière structurelle, cela vous force à partir. "

Avec AFP