" On est en train d’enterrer un outil précieux au service de la France " : le Quai d’Orsay, haut-lieu d’ordinaire si feutré de la diplomatie française, est en effervescence depuis la réforme annoncée de la haute fonction publique.
Conséquence inéluctable de cette tectonique voulue par le président Emmanuel Macron et programmée pour 2022, le corps diplomatique, qui a donné des générations d’ambassadeurs à la France, est appelé à disparaître.
Les hauts fonctionnaires des Affaires étrangères vont entrer dans un pot commun d’administrateurs de l’Etat, qui auront vocation à évoluer d’un ministère à un autre tout au long de leur carrière. " On ne s’improvise pas diplomate. C’est vraiment un apprentissage qui s’acquiert sur le terrain, au gré des affectations ", s’insurge un ambassadeur en poste à l’étranger.
Le métier requiert des connaissances linguistiques, une maîtrise des usages internationaux, de dossiers parfois très complexes et in fine un carnet d’adresses et des réseaux, plaide-t-il. " Si vous nommez un secrétaire général de préfecture consul général à Buenos Aires, il aura peut-avoir du mal à être opérationnel tout de suite. De même si vous m’envoyez comme directeur départemental de la Sécurité civile dans les Landes ! ".
Aux yeux de ses artisans, la réforme vise pourtant à dynamiser les carrières en puisant dans un plus large vivier de candidats et en passant " d’une logique de statut à celle d’emploi ".

" Nominations politiques "
" Les fonctionnaires, pas plus que les salariés du secteur privé, ne sont interchangeables ", réplique un collectif de diplomates réuni sous le nom de Théophile Delcassé, le ministre des Affaires étrangères qui a imposé le concours d’entrée dans la carrière diplomatique, jusque-là un privilège de la noblesse, au début du 20è siècle.
Aux yeux de leurs détracteurs, les diplomates souffrent parfois d’une image de " rois fainéants ", abonnés des soirées mondaines et des discussions de salon, attachés à leurs privilèges. Ce que l’ambassadeur récuse, écartant tout " réflexe corporatiste ".
Au-delà de ces questionnements très concrets, c’est l’idée même que la France se fait de sa représentation à l’étranger qui est en jeu, estiment les détracteurs de réforme.
" Quand vous avez des ambitions diplomatiques et militaires, vous avez un outil diplomatique et militaire ", martèle Olivier Da Silva, permanent syndical CFDT au Quai après une longue carrière qui l’a conduit à Madrid, Londres et Brasilia.
Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie et conseiller spécial à l’Institut Montaigne, met en garde contre une " diminution de l’expertise à un moment où on en a plus que jamais besoin " avec la multiplication des crises dans le monde.
" Les rares gouvernements qui se sont risqués à cela ont été obligés de faire machine arrière, comme au Canada. Il n’y a pas un seul grand pays qui n’ait pas un corps diplomatique professionnel ", fait observer le diplomate, auteur de " La France dans le bouleversement du monde ".

C’est aussi " la porte ouverte à des nominations politiques (d’ambassadeurs) injustifiées ", s’inquiète-t-il, pointant également le risque de perte " d’attractivité " du métier et la difficulté future à recruter les " meilleurs ".

" De profundis "
Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian ne cache pas non plus ses réserves. " Ce n’était pas ma vision ", a-t-il concédé dans un courrier aux agents du ministère daté du 9 novembre.
Lors d’une rencontre lundi avec les syndicats, il a esquissé un certain nombre de pistes pour préserver un " outil diplomatique performant, professionnel et attractif ". Il a notamment annoncé le maintien du Cadre d’Orient, voie de recrutement spécifique du Quai d’Orsay axée sur des compétences en langues rares (russe, persan, chinois, arabe, swahili…).
Les deux catégories de diplomates concernés par la réforme – 700 conseillers des Affaires étrangères et 200 ministres plénipotentiaires – auront aussi un " droit d’option ". Ils pourront rejoindre le corps des administrateurs ou conserver leur statut actuel, avec des perspectives de carrières " comparables ".
" Pour l’instant, on est sur des (promesses) extrêmement verbales ", pointe Olivier Da Silva. " Il faut qu’on trouve un moyen " pour sauvegarder une filière diplomatique.
Sinon, " ce ne sera plus l’Etat profond mais l’Etat de profundis ", ironise l’ambassadeur en poste à l’étranger. Une référence à une expression utilisée par Emmanuel Macron pour dénoncer les résistances envers certains de ses choix diplomatiques.

Source : AFP/Valérie LEROUX/Paris

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