La quantité d’uranium enrichi produite par l’Iran dépasse de dix-huit fois le seuil autorisé par l’AIEA. Deux experts du nucléaire iranien contactés par Ici Beyrouth – Simon Henderson du Washington Institute et Jonathan Piron du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) – reviennent sur les questions clés de ce dossier à la une de l’actualité. Alors que les négociations de Vienne sont au point mort, l’Iran cherche-t-il à faire monter les enchères, ou bien à gagner du temps pour d’autres buts moins avouables ?

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) tire la sonnette d’alarme. La quantité d’uranium enrichi produite par l’Iran se situe dix-huit fois au-dessus des limites autorisées. La France a fait part de sa " très grande préoccupation ", une rhétorique inhabituelle pour un pays qui s’est jusqu’ici positionné entre les Etats-Unis – acteur le plus hostile au régime iranien – et les alliés de l’Iran, comme la Russie. Est-ce un signe que des informations tangibles portent à croire que l’Iran se rapproche dangereusement d’un point de non-retour ? Pour l’expert de l’Iran et connaisseur du dossier Jonathan Piron, de l’institut belge Grip, une chose est sûre, " l’Iran est en train d’accumuler des connaissances qui seront de toute façon acquises et gardées à l’avenir ". Quant aux derniers développements, celui-ci confirme les préoccupations de part et d’autre. " On voit depuis ces derniers mois une accélération, notamment dans l’enrichissement d’uranium. Mais ce n’est pas le seul point. Diverses informations sont aussi parvenues sur l’utilisation, par la République islamique, d’informations visiblement volées de l’ONU permettant à Téhéran de mieux dissimuler ses activités sensibles. De même, l’Iran collabore de moins en moins avec l’AIEA sur certains aspects techniques quant à ses activités nucléaires ", renchérit le spécialiste.

En dépassant de 18 fois la limite d’uranium, est-ce un signe que le pays est plus proche que jamais d’obtenir la bombe, ou est-ce une politique de pression, et si oui, avec quels objectifs ? " C’est la grande question ", répond Simon Henderson, chercheur au Washington Institute for Near East Policy et spécialiste du nucléaire iranien, contacté par Ici Beyrouth. " Je pense personnellement que c’est une politique de pression. Cependant, l’augmentation de l’uranium hautement enrichi est importante et ne doit pas être ignorée. L’ambiguïté que cela provoque est rusé de la part de Téhéran, car elle divise les pays qui s’inquiètent de savoir quelle action est nécessaire, s’il faut agir maintenant ou si nous pouvons attendre ", selon l’expert.

La dissimulation des activités nucléaires sur des sites non déclarés est la zone d’ombre majeure qui entache la confiance des instances internationales et des pays occidentaux envers l’Iran. Dans le dernier rapport de l’AIEA, le gendarme onusien du nucléaire indique avoir des questions " non résolues " concernant la présence de matière nucléaire sur trois sites iraniens non déclarés : Marivan, Varamin et Turquzabad. " Malgré les efforts d’engagement du directeur général (de l’AIEA) et les opportunités répétées offertes à l’Iran depuis près de trois ans de faire la lumière sur la présence non déclarée de matières nucléaires sur des sites non déclarés, l’agence estime qu’elle n’est toujours pas en mesure de clarifier ces questions ", a souligné le ministère français des Affaires étrangères.

Vienne, voie sans issue ?

Peut-on penser que les négociations en cours à Vienne sont dans une impasse ? " C’est un point de vue raisonnable à défendre, oui. Et c’est sans doute une conséquence de l’action de Trump, en sanctionnant l’ensemble du CGRI (Corps des Gardiens de la révolution islamique ; ndlr) plutôt que la seule Force Qods. La non-sanction du CGRI est politiquement impossible aux États-Unis ", observe Simon Henderson.

Trois approches sont à considérer, selon Jonathan Piron, afin de traiter le dossier du nucléaire dans sa globalité. " Nous sommes face à trois volets : d’abord, la pression sur les négociateurs occidentaux, pour les forcer à abandonner leurs pressions ; ensuite, la volonté de pousser au maximum les connaissances pratiques sur le développement du nucléaire, tant que l’accord ne revient pas en activité; enfin, la possibilité de devenir un État nucléaire, ce qui fait alors passer le statut de l’Iran dans un autre domaine ".

Ce nouveau regain de tension et d’alarmisme fait suite à l’affaire des caméras de surveillance. L’an dernier, les caméras de surveillance du site de Karaj avaient été endommagées. L’AIEA n’avait pu récupérer toutes les cartes mémoires. Karaj était un site où sont fabriquées des centrifugeuses et dont l’Iran avait restreint les inspections onusiennes depuis février 2021, jusqu’à ce qu’une attaque imputée à Israël force l’Iran à y arrêter ses activités. Le rapport de l’AIEA intervient en parallèle aux discussions à Vienne entre l’Iran et les grandes puissances sur une relance de l’accord international de 2015 portant sur le nucléaire iranien.

Pour Jonathan Piron, le retour à la table des négociations permettrait de contenir la fuite en avant de l’Iran : " Il est évident que le retour à l’accord sur le nucléaire devient de plus en plus urgent, pour forcer l’Iran à développer son programme nucléaire dans un cadre l’empêchant de se doter de l’arme nucléaire ".

Enfin, mercredi soir sur Twitter, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saïd Khatibzadeh, a déclaré " qu’il est temps pour l’E3 (France, Allemagne, Royaume-Uni) et les Etats-Unis de cesser de faire semblant de dormir. Ils peuvent poursuivre la voie diplomatique – ou l’opposé. Nous sommes prêts pour les deux ", a-t-il ajouté.

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