En toile de fond, trois dossiers importants devraient guider la première visite de Joe Biden en Arabie Saoudite: les cours du pétrole, l’isolement de la Russie et le dossier du nucléaire iranien. 

Joe Biden est-il en train de signer le retour d’une realpolitik américaine? Refusant catégoriquement de rencontrer le prince héritier et dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane (dit MBS) – dont le pays a été qualifié de " paria " depuis la sinistre affaire du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi –, le président américain a pris un virage à 180 degrés : fin juin, il se rendra à Ryad pour rencontrer le prince, selon des informations publiées par le New York Times et le Washington Post, sans être démenties par la Maison-Blanche. Avec les élections de mi-mandat en ligne de mire, Joe Biden fait flèche de tout bois pour préserver une majorité démocrate au Congrès.

En toile de fond, trois dossiers importants : les cours mondiaux du pétrole, qui contribuent à l’inflation galopante aux Etats-Unis, et de se fait entame la popularité du président. L’isolement de la Russie après l’invasion de l’Ukraine, et, enfin, le dossier du nucléaire iranien.

Si les cercles proches de la Maison-Blanche semblent axer leur communication sur le premier volet – plus acceptable aux yeux de l’opinion publique, présenté comme un mal nécessaire afin de faire baisser la pression sur les ménages et l’économie américaine –, les autres volets ne sont pas moins importants.

A commencer par l’Iran, un dossier qui a récemment volé la vedette à la guerre en Ukraine, au regard des déclarations alarmistes de l’AIEA et de certaines chancelleries occidentales. Israël a mené des manœuvres militaires inédites et semble prêt à frapper le régime de Téhéran si nécessaire. En dépassant de 18 fois le seuil d’uranium enrichi autorisé par l’agence onusienne, l’Iran viole les dispositions de l’accord de 2015 (qui a volé en éclat suite au retrait américain unilatéral par Donald Trump), mais également en dissimulant une partie de son activité nucléaire (selon l’AIEA). Pire, le pays volerait des documents classifiés de l’instance onusienne afin de faire disparaître certaines preuves encombrantes, selon Israël. La goutte de trop pour Tel Aviv? Pour l’heure, les Israéliens suivent d’un œil attentif la situation et personne ne peut prédire l’avenir, à l’heure où les négociations sur le nucléaire iranien sont dans une impasse. L’Iran a réaffirmé être prêt pour la diplomatie, ou la voie opposée.

La visite de Joe Biden s’inscrit dans cette perspective de tensions grandissantes entre l’Iran et la communauté internationale, et dans l’optique du rapprochement entre Israël et plusieurs pays arabes comme l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, hostiles à un Iran nucléaire. L’exercice du président américain sera périlleux à plus d’un titre, d’abord par son hostilité ouverte envers le régime de Ryad, personnifié par MBS, dirigeant de facto du royaume wahhabite. Ce rétropédalage sera le bienvenu par Ryad, qui ne manquera pas de rappeler aux Américains leur engagement en matière de défense et de fermeté à l’égard de l’Iran. Cette visite de Joe Biden viendrait s’ajouter à un voyage déjà prévu fin juin en Israël, en Allemagne pour le sommet du G7 et en Espagne pour celui de l’Otan.

Energies, Russie et droits de l’homme

Le Washington Post a aussi fait état du déplacement en citant des responsables anonymes, soulignant que le "tête-à-tête" avec le prince interviendrait après plusieurs missions "discrètes" au royaume du conseiller présidentiel pour le Moyen-Orient, Brett McGurk, et de son émissaire pour les affaires énergétiques, Amos Hochstein, qui plaident inlassablement pour une augmentation de la production de brut afin de faire baisser le prix du baril et, par ricochet, de l’inflation.

L’invasion de l’Ukraine a eu pour conséquence de faire grimper le prix du baril de brut qui a atteint des records. Le déplacement de Joe Biden doit donc aussi être compris dans cette optique, il s’agit pour lui de prouver à son opinion publique qu’il aura tout fait pour protéger l’économie américaine fortement affectée par la flambée des prix des énergies. Il faut noter que l’Opep+ avait annoncé une augmentation plus importante que prévu de sa production en juillet et août, quelques heures avant l’annonce de la visite de Biden par les médias américains. Rappelons que la Maison Blanche réclamait au cartel une production accélérée pour tenter de faire baisser les cours, désormais installés au-dessus de 110 dollars le baril, soutenus par la baisse des exportations russes soumises à un embargo des Etats-Unis, du Royaume-Uni et, depuis cette semaine, de l’Union européenne.

L’autre grand sujet concerne l’isolement de la Russie, l’un des objectifs majeurs de l’administration Biden et de ses alliés, qui cherche à asphyxier l’économie russe afin de pousser le régime de Vladimir Poutine vers la table des négociations. N’ayant pas réussi à isoler Moscou sur la scène internationale – le régime de Poutine ayant des implantations sur le continent africain, mais aussi de bonnes relations avec l’Inde et la Chine – Joe Biden espère convaincre Ryad de se distancier de Moscou. Peu de chance toutefois d’espérer un refroidissement dans les relations, étant donné la nature des régimes saoudiens et russes, deux dictatures autoritaires qui n’ont pas intérêt à fragiliser leurs positions respectives sur la scène internationale. Les principaux enjeux porteront donc sur l’aide que pourra apporter Ryad à la hauteur des espérances de Washington, à savoir une réduction du prix du pétrole et une consolidation du front global contre l’axe iranien, de Washington à Tel Aviv, en passant par Abou Dhabi et Ryad.

Washington a également émis son souhait de remettre les droits humains au cœur du dialogue avec les dirigeants saoudiens et a multiplié les efforts pour mettre fin à la guerre au Yémen, où Ryad soutient militairement le gouvernement face aux rebelles Houthis. Auprès de l’Arabie Saoudite, Joe Biden a réussi à arracher une prolongation de la trêve entre Sanaa et Ryad. Pour rappel, le président américain avait mis fin à son soutien à l’offensive saoudienne au Yémen, contrastant avec la position de son prédécesseur Donald Trump. En outre, Joe Biden avait, dès son arrivée au pouvoir, déclassifié un rapport de la CIA qui a permis d’établir un lien direct entre l’assassinat de Khashoggi et MBS.

Hélas, la cohérence ne sera pas au prochain rendez-vous du président américain. Le démocrate aurait, par conséquent, sanctionné Vladimir Poutine sans que cela ne l’empêche de renouer les liens avec un dirigeant tout aussi condamnable pour ses actions. L’ancien proverbe arguant que " l’ennemi de mon ennemi est mon ami " pourrait prendre tout son sens à l’aune du rapprochement inattendu entre les deux puissances aux intérêts convergents.